Les analyses des programmes des candidats par l’équipe Présidentielle d’Oeconomicus arrivent! Les trois mesures phrases de chaque programme économique sont décryptées: détail de la mesure, contexte, effets attendus et limites, le tout documenté et nourri par les connaissances les plus récentes en sciences économiques. Au menu pour Jean-Luc Mélenchon: annulation des dettes publiques, garantie d’autonomie jeune et réduction de la TVA

Proposition 1: Annuler les dettes publiques
La mesure en détail
Dans le programme “L’Avenir en Commun” de la France Insoumise et plus précisément dans le chapitre “Partage des richesses”, apparaît la proposition suivante : “Refuser le chantage: annuler la dette publique” . Celle-ci est déclinée en plusieurs mesures, dont une mesure-clé : “Exiger de l’Union européenne que la Banque centrale européenne transforme la part de dette des États qu’elle possède en dettes perpétuelles à taux nul”. Les mesures complémentaires englobées dans la proposition consistent en différentes manières de transformer le rapport des pouvoirs publics à la dette : rachat par la BCE de la dette circulant sur les marchés financiers, réintroduction d’un circuit du Trésor, audit citoyen de la dette publique, insistance sur le poids des dettes privées – perçues comme le “véritable danger à court terme”…
Le contexte
Partout en Europe (et pas seulement), la pandémie de Covid-19 a vu le retour de l’interventionnisme des États pour soutenir les économies nationales, jouant notamment un rôle d’assureur face aux aléas frappant de plein fouet les entreprises et leurs salariés. En France, cette tendance a été particulièrement marquée – et elle s’applique toujours pour certains secteurs : chômage partiel, aide au paiement de cotisations sociales et patronales pour certaines entreprises… (1) En un sens, la pandémie a donc vu un retour en grâce de l’approche keynésienne, assez proche de la vision de l’économie défendue par Jean-Luc Mélenchon. Néanmoins, il est possible que ce retour n’ait été que contextuel. En effet, en raison de l’augmentation de la dette publique favorisée notamment par l’intervention étatique en temps de Covid, la question de savoir comment gérer cette dette revient à l’agenda politique, et avec elle le spectre de l’austérité budgétaire. Par exemple, le rapport Arthuis préconisait l’an dernier d’instaurer une “règle d’or sur la dépense publique” (2) afin d’éviter que le niveau d’endettement ne devienne insoutenable. C’est dans ce contexte que la querelle “libéraux versus interventionnistes” reprend tout son sens, quelques années seulement après la crise de 2008 et celle des dettes souveraines à l’échelle de l’UE.
Rentrons dans le détail des chiffres: en 2020, la dette de la France atteignait 120% du PIB environ, soit 20 points de plus qu’avant le début de la crise sanitaire, une hausse impulsée par l’apparition d’une “dette Covid” estimée à 215 Milliards d’euros au printemps dernier (2). Dans ce contexte, une part croissante de la dette publique est détenue par les Banques Centrales, et comme nous l’avons déjà évoqué, au sein de l’OCDE, la France ne fait pas figure d’exception. Comme l’illustre le graphique ci-dessous tirée des travaux de l’OFCE (3), que ce soit aux États-Unis, au Japon, ou dans les pays européens, cette part a fortement augmenté entre 2015 et 2020. Bien sûr, il existe des disparités en niveaux : cette part s’élève à près de 45% au Japon, contre à peine 20% aux États-Unis ; l’UE se situe entre deux, avec une moyenne se situant autour d’un quart. Mais cette tendance à la hausse est uniforme.

Les effets attendus
A rebours des propositions des tenants de l’orthodoxie budgétaire, un nombre croissant d’économistes appelle à l’annulation, partielle ou intégrale, de la dette publique détenue par les banques centrales, à l’instar de Gaël Giraud (4) par exemple.
Comme rappelé dans la note de l’OFCE, annuler la dette publique est une manière de “donner des marges de manœuvre supplémentaires à la politique budgétaire”, ce qui permettrait à l’État d’investir plus facilement dans les secteurs jugés prioritaires (la santé ainsi que la transition écologique par exemple). C’est une manière claire de refuser le recours à l’austérité budgétaire, qui a contribué aux difficultés rencontrées face à la pandémie, notamment à l’hôpital.
Les limites
Néanmoins, l’annulation de la dette publique pose tout de même quelques difficultés, si l’on suit toujours la note de l’OFCE. En matière de soutenabilité de la dette publique, le principal risque à moyen/long terme est un renchérissement du coût de la dette suite à une remontée des taux d’intérêt – qui sont très bas depuis un certain nombre d’années, contexte pour l’instant propice à l’endettement donc. Or, la manœuvre consistant à annuler tout ou partie de la dette publique pourrait envoyer un mauvais signal aux investisseurs, suggérant d’une certaine manière qu’un défaut souverain pourrait survenir dans un futur proche, ce qui aurait donc un effet contreproductif sur le taux d’intérêt, pouvant ainsi possiblement repartir à la hausse en cas de perte de confiance. Pour bien comprendre, expliquons brièvement les effets d’un tel choix sur le bilan de la banque centrale (la BCE dans notre cas)*. Sans rentrer trop dans les détails, l’annulation partielle ou totale de la dette publique revient à une perte de capital pour la banque centrale qui la détient, et peut même conduire celle-ci à se retrouver avec des fonds propres négatifs à son passif. Bien sûr, contrairement à une entreprise ou banque commerciale, cette situation ne conduit pas à la faillite de la BCE, qui peut toujours rembourser ses dettes grâce à son monopole de création monétaire. Toutefois, comme le soulignent les auteurs de la note de l’OFCE, dans cette situation, les statuts pourraient alors conduire les Etats à devoir recapitaliser la BCE, contraignant ainsi cette dernière à réduire les flux de revenus futurs versés aux Etats. Cela reviendrait donc pour les Etats à perdre plus tard (moindres revenus associés à une recapitalisation de la BCE) ce qu’ils ont gagné à court terme (en capital). Plus généralement, c’est aussi l’épineuse question de la crédibilité de la politique monétaire qui est posée ici en filigrane (4), et de ce point de vue, il n’y a pas de réel consensus sur les effets d’une annulation de dette…
Proposition 2: Financer l’autonomie des jeunes détachés du foyer fiscal parental grâce à la garantie d’autonomie
La mesure en détail
A la page 102 de “L’Avenir en Commun”, Jean-Luc Mélenchon défend la création d’une garantie d’autonomie. Celle-ci permettrait à toute personne dont les revenus tombent en dessous du seuil de pauvreté de la percevoir, en complétant les minima sociaux actuels, si nécessaire. Notamment, elle sera disponible aux jeunes détachés du foyer fiscal de leurs parents dès 18 ans et même 16 ans pour les étudiants en filière professionnelle. Cette garantie sera automatiquement versée, pour lutter contre le non-recours.
Le contexte
En 2018 selon l’INSEE, en France métropolitaine 9,3 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, fixé à 60 % du niveau de vie médian, qui s’établit à 1 063 euros par mois. Cela représente 14,8% de la population, et ce chiffre est en augmentation par rapport à 2017. Ces personnes aux revenus modestes sont plus jeunes (la moitié des personnes pauvres ont moins de 30 ans) et vivent davantage dans une famille monoparentale ou nombreuse que le reste de la population. Enfin, elles sont plus nombreuses à être handicapées.
La France possède une dizaine de minima sociaux. En incluant les conjoints et les personnes à charge, 6,9 millions de personnes sont couvertes par ces minima fin 2019, soit 10% de la population.
Le revenu de solidarité active (RSA), est le minima le plus touché (1,9 million de personnes), suivi par l’allocation adulte handicapé (AAH, 1,2 million de personnes) puis le minimum vieillesse (plus d’un demi-million de personnes). À titre de comparaison, en 2018 le RSA s’élève à 551 euros et le minimum vieillesse à 833 euros (903 en 2020), sachant que d’autres prestations (dont les aides au logement) complètent souvent le revenu disponible des allocataires de ces minima sociaux. Ainsi, en 2018, 66,0 % des personnes vivant dans un ménage bénéficiaire du RSA vivent en dessous du seuil de pauvreté et 47,7 % des personnes vivant dans un ménage percevant le minimum vieillesse. Ainsi, si ces minima évitent à leurs allocataires la plus grande misère, ils ne permettent pas de sortir du seuil de pauvreté.
En ce qui concerne les étudiants, en 2016, 46% déclarent une activité rémunérée. 55% d’entre eux étaient en activité non liée aux études, 19,2% pour lesquels cette activité était concurrente des études (exercée plus d’un mi-temps). Au total 34% des étudiants exerçant une activité rémunérée le font à temps plein.
Les effets attendus
L’objectif est clair : sortir de la pauvreté les presque 10 millions de personnes qui vivent en dessous du seuil. L’effet est mécanique puisque cette mesure serait introduite dès le début du mandat et qu’elle est sans condition. Étant donné la plus grande propension marginale à consommer des personnes pauvres ou jeunes (5), un objectif secondaire est l’augmentation de la consommation. Cela permettrait aux entreprises, notamment françaises et européennes, d’avoir plus de débouchés pour leur produit et ainsi déclencher le fameux multiplicateur keynésien. De même, en garantissant aux jeunes une allocation d’autonomie, ils seraient plus à même de faire ou poursuivre leurs études, et ce dans de bonnes conditions matérielles.
Les limites
Comme évoqué plus haut, une dizaine de minima sociaux, mais également d’allocations différentes, existent en France, et peuvent se recouvrir. Ainsi, la création d’une nouvelle garantie pourrait ne changer que très marginalement les choses. Notamment car les personnes en situation de pauvreté peuvent avoir recours à différentes méthodes pour l’éviter : hébergement par un proche, transferts intrafamiliaux, petit boulot non déclaré, etc… De plus, cette mesure viendrait renforcer le salaire de réserve -alaire minimum auquel un agent économique est prêt à accepter un emploi- des personnes, faisant craindre des difficultés des entreprises à employer mais également une boucle inflationniste. En effet, en sachant que la garantie existe, la capacité à négocier un salaire plus élevé est plus grande, dans ce cas c’est toute la grille des salaires qui est translatée vers le haut. Ceci pourrait donc augmenter artificiellement les salaires, car en parallèle d’une augmentation des prix, ce qui démarrerait une boucle d’inflation. Enfin, cette mesure a un coût. Elle pourrait aggraver la situation financière de la France, dont la dette représente 116% du PIB et le déficit 9,2%. Surtout, elle pourrait peser sur la crédibilité du pays à la rembourser, augmentant le taux d’intérêt auquel le pays emprunte renchérissant son coût.
Proposition 3: Réduire la TVA sur les produits de première nécessité et réinstaurer une taxe grand luxe pour la financer
La mesure en détail
Dans son programme et en particulier au sein du chapitre “Partage des richesses : faire la révolution fiscale” de “L’avenir en commun”, le candidat La France Insoumise propose notamment de “Réduire la TVA sur les produits de première nécessité et réinstaurer une TVA grand luxe pour la financer”. La TVA passerait de 5,5 % à 5 %, et le taux de la TVA grand luxe devrait passer de 20% à 21,6 % pour que la mesure soit neutre pour les finances publiques.
Le contexte
Cette mesure s’inscrit dans le cadre d’une sensation généralisée de baisse du pouvoir d’achat, malgré une augmentation en pratique du pouvoir d’achat chaque année depuis 1960 selon l’INSEE. La taxe sur la valeur ajoutée ou TVA est un impôt général sur la consommation qui est directement facturé aux clients sur les biens qu’ils consomment ou les services qu’ils utilisent. Le gouvernement a annoncé en 2021 l’augmentation du taux TVA réduit de 5,5% à 7%, à l’exception des produits de “première nécessité”. La dernière réforme de la TVA réduite en date, avant l’annonce de 2021, remonte à 1989, entraînant une diminution de 7% à 5.5%. La TVA grand luxe a existé quant à elle en tant que taux majoré et a été supprimée en 1992.
Les produits de “première nécessité” sont en théorie les produits dont la consommation augmente moins vite que le revenu, c’est-à-dire dont l’élasticité-revenu est inférieure à 1. L’on classe parmi ces produits l’électricité, l’alimentation, l’hygiène, etc. Suivant les données de la période 2007-2020 du Ministère de la Transition Écologique, le prix de l’électricité pour les ménages français TTC a crû de 65% sur la période, soit une hausse moyenne annuelle de 3.9%. Cette hausse est essentiellement portée par la hausse des taxes sur l’électricité, en croissance de 129% sur la période (6.6% par an en moyenne). Sur la même période, l’indice de prix des biens alimentaires de la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, qui suit l’évolution des cours des principales denrées alimentaires dans le monde, a progressé de 4% seulement, mais a explosé de 28% dans le monde en 2021. Malgré cela, le pouvoir d’achat français a cru de 16.3% sur la période 2000-2007 (calculs Oeconomicus, source INSEE).
Les effets attendus
Jean-Luc Mélenchon s’attend à une amélioration du pouvoir d’achat des Français des plus pauvres via cette mesure, et à plus d’équité. Théoriquement, il est démontré que la TVA est de fait une taxe dégressive, c’est-à-dire demandant plus d’effort aux moins aisés qu’aux riches, puisqu’elle est proportionnelle au prix du bien, et non au revenu du consommateur, comme l’est l’impôt sur le revenu par exemple. Plus taxer les biens essentiellement consommés par les riches et moins taxer les biens essentiellement consommés par les classes moins aisées reviendrait donc à corriger la dégressivité du système de taxe actuel. Certains articles académiques (6) avancent des preuves empiriques sur l’échec de la taxe sur la valeur ajoutée en termes de redistribution. En supposant que le pourcentage de personnes issues de la classe moyenne dans la société française est important, la diminution de la TVA et la conversion de cette taxe en une taxe moins regressive (TVA grand luxe) pourrait induire un choc positif sur la consommation française également (7). Mélenchon suppose la proposition neutre pour le budget de l’Etat, à supposer que la consommation des biens courant augmente suffisamment, ou que la consommation des biens de luxe ne diminue pas trop, de sorte à corriger la perte induite par la chute de TVA sur les biens de nécessité.
Les limites
La principale limite à pareille mesure est l’interdiction dans les traités européens d’instaurer plus de trois TVA différentes dans un pays (ce qui serait le cas avec cette TVA grand luxe) ainsi que le seuil minimal de 5% pour les TVA réduites (la TVA réduite sur les biens de nécessité étant actuellement à 5.5%). Une autre limite pourrait être la rigidité des prix et l’asymétrie de la réaction de ceux-ci à un changement de TVA. En effet, les firmes pourraient profiter de la taxe pour prendre plus de marge sur les prix quand la taxe diminue, ce qui limiterait l’amélioration du pouvoir d’achat des classes moyennes, et au contraire chercher à beaucoup plus contracter leurs marges sur les produits de luxe ou la TVA augmenterait.
Sources
(1) https://www.economie.gouv.fr/covid19-soutien-entreprises/crise-sanitaire-mesures-soutien-entreprises-impactees-reprise-epidemique#
(2) Rapport “Nos finances publiques post-Covid-19 : pour de nouvelles règles du jeu”, mars 2021.
(3) C. Blot et P. Hubert, “De la monétisation à l’annulation des dettes publiques, quels enjeux pour les banques centrales ?”, novembre 2020, Science Po, OFCE
(4) G. Giraud, “Annuler les dettes est un choix politique”, février 2021, https://gael-giraud.fr/
(5) Karger, E., & Rajan, A. (2020). “Heterogeneity in the marginal propensity to consume: evidence from Covid-19 stimulus payments”. https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3612828
(6) Liberati, P. (2000) “Did Vat Changes Redistribute Purchasing Power in Italy?” https://ssrn.com/abstract=246381 or http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.246381
(7) Matsuzaki, Daisuke. (2003). The Effects of A Consumption Tax on Effective Demand under Stagnation. The Japanese Economic Review. 54. 101-118. 10.1111/1468-5876.00248.