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Si vous avez vu le dernier film de Christopher Nolan, Tenet, alors vous vous souvenez sans doute de la scène où le héros visite un port-franc. Comme le milliardaire russe dans le film, les personnes les plus riches de la planète diversifient leur patrimoine en achetant des œuvres d’art pour des prix exorbitants. Ces collections finissent souvent par être entreposées dans des hangars à l’abri de toute taxation. C’est dans les années 80 que s’est opéré le tournant de l’art comme investissement, avec l’arrivée de nouveaux opérateurs ayant fait fortune dans la finance. Néanmoins, est-ce vraiment rationnel d’acheter une œuvre d’art pour investir comme on le ferait avec un titre financier traditionnel ?
- Pour reprendre les observations de Wiliam Baumol en 1986, l’art est un actif spécifique, difficilement comparable à un titre financier traditionnel. Ni homogène ni substituable, sans valeur intrinsèque, une œuvre d’art amène des coûts spécifiques comme des frais d’assurance, de restauration ou de transport. Par exemple, une statue de Giacometti vendue 900.000$ par la maison de vente aux enchères Christie’s a en réalité été payée 1,085 million de dollars par l’acquéreur.
- Le monde de l’art n’est pas un marché de concurrence pure et parfaite, puisqu’il est caractérisé par une forte opacité et un manque de régulation. De fait, les prix des œuvres sont souvent confidentiels et les agents sont loin d’être indépendants, générant de nombreuses asymétries d’informations. En effet, un vendeur se trouve en position de monopole, contrairement au marché financier où les titres sont possédés par plusieurs personnes agissant de manière autonome. Ainsi, certains agents ont un poids disproportionné sur le marché en raison du faible nombre d’acheteurs et de vendeurs, mais aussi des barrières à l’entrée.
- De plus, la formation des prix des œuvres sur le marché de l’art constitue une construction purement sociale, qui dépend des rendements croissants d’adoption. Comme l’écrivait déjà Keynes en son temps, en l’absence d’information fiable, c’est l’opinion moyenne qui détermine les prix. Il est ainsi primordial de comprendre la psychologie du marché de l’art et des réseaux de légitimations qui le composent.
- Un facteur prime sur tous les autres dans la formation des prix: la notoriété de l’artiste. La reconnaissance d’un artiste dépend de différentes instances de légitimations: collectionneurs institutionnels ou privés, expositions, positionnement au sein d’un mouvement ou d’une école, bruit médiatique. Contrairement aux prix des galeries d’art, qui sont conditionnés par les coûts de production, les prix des œuvres sur les marchés secondaires relèvent principalement de la rareté des œuvres et de la célébrité de l’artiste.
- Enfin, les économistes ont établi 3 méthodes différentes pour calculer la rentabilité des œuvres d’art : par index composite, prix hédoniques ou ventes répétées. Si la plupart des études arrivent chacune à des résultats assez différents, en raison de biais dans le choix des données, un consensus apparaît néanmoins: avec un niveau de risque plus élevé, les œuvres d’art ne sont pas plus rentables que des titres financiers traditionnels. Mis à part certains épisodes de spéculation, investir dans l’art n’est pas particulièrement rationnel en terme monétaire. Mais peut-être le secret de l’investissement dans le marché de l’art réside justement dans cet apparent paradoxe: une œuvre d’art n’est pas achetée pour ses dividendes monétaires, mais pour un statut social et des “dividendes psychologiques” difficilement quantifiables.