Joachim Schwartz – Pourquoi vous-êtes-vous intéressée à la recherche en économie ? Pourquoi avoir choisi une carrière académique ?
FANNY HENRIET – D’abord, l’économie en tant que discipline m’amusait beaucoup, et m’amuse toujours. J’avais aussi l’impression que l’économie permet de réfléchir à la transition écologique de façon très concrète, en réfléchissant aux politiques publiques et au changement des comportements, de manière un peu différente de la recherche de solutions techniques à laquelle j’étais confronté pendant mes études d’ingénieur. Enfin, pourquoi la recherche plutôt que l’administration et la mise en place des politiques publiques ? J’aime bien creuser des idées à fond dans mon coin, sans être trop pressé par des impératifs extérieurs.
Selon vous, quelle place occupe aujourd’hui l’économie de l’environnement dans le champ de la recherche en économie ?
L’économie de l’environnement existe depuis longtemps, car c’est un problème très intéressant, en plus d’être important. C’est un exemple où le marché fonctionne très mal, avec plein de défaillances en même temps. Néanmoins, elle était pendant longtemps marginale et peu prestigieuse. Cela est en train de changer radicalement, et l’économie de l’environnement devient presque mainstream. Quand j’ai commencé ma thèse en 2012, nous étions assez peu à faire de l’économie de l’environnement, et les papiers n’étaient publiés que dans des revues spécialisées. Aujourd’hui, il y a des économistes de l’environnement dans toutes les universités américaines les plus reconnues, et ce sont elles qui donnent les sujets à la mode. De la même manière, il y a une volonté d’avoir des papiers en économie de l’environnement au sein des revues les plus prestigieuses. L’économie de l’environnement devient centrale.
Et quels sont les progrès que l’économie doit encore réaliser sur ce plan ?
Un sujet n’est jamais tout à fait épuisé, il y a toujours des données à exploiter, de nouveaux problèmes à résoudre. La question des dommages sur le climat est un sujet important pour l’instant peu exploré, tout comme celle des impacts macroéconomiques où subsistent de nombreuses incertitudes. Par ailleurs, le manque de popularité de certaines mesures, comme la taxe carbone, impose de réfléchir à d’autres instruments à mettre en place. Il y a aussi un besoin crucial d’évaluer les politiques publiques de façon plus systématique. De nombreuses politiques environnementales ont été mises en place mais se sont révélées inefficaces, sinon contre-productives, alors même qu’elles étaient populaires. Il y a notamment le fameux exemple du bonus-malus écologique de 2008 sur les achats d’automobiles, un mécanisme qui a au final augmenté les émissions.
Enfin, les politiques publiques environnementales se focalisent quand même principalement sur l’Europe et les États-Unis. Or, plus le temps passe, plus l’Europe et les États-Unis représentent une petite proportion des émissions de gaz à effet de serre. On réfléchit ainsi beaucoup au véhicule électrique, mais c’est un problème de pays riches. De nombreux pays moins développés sont moins dépendants de la voiture individuelle et ont d’autres problématiques.
Plus généralement, quels changements observez-vous sur le plan de la méthode (théorie, données) et dans le champ de la recherche en économie ?
Auparavant, il y avait majoritairement de la théorie, et probablement trop, avec peu de confrontation aux données. Ensuite, nous avons observé le mouvement inverse, avec une utilisation massive des données et par exemple beaucoup d’expériences naturelles ou de RCT (randomized control trial, ou expérience aléatoires contrôlées, ndlr). Dorénavant, nous assistons à un rééquilibrage, avec toujours beaucoup de données mais des évaluations plus structurelles qui reposent sur des modèles et des mécanismes explicites. La théorie ne peut pas être hors-sol, elle a besoin de se confronter aux données, mais je trouve plus intéressant que l’empirique ne soit pas complètement athéorique.
À propos de l’évolution de la profession en elle-même, il y a un formatage bien plus prononcé qu’avant, notamment au niveau de la thèse et du job market paper qui permet ensuite d’intégrer les meilleurs départements. Le jeune économiste fait face à une forte pression et dispose de moins de liberté. Cette standardisation limite la prise de risque et l’originalité des travaux. En revanche, le niveau a globalement monté, donc il y a aussi du positif.
À vos yeux, quel doit-être le rôle de l’économiste dans la société ?
Il ne doit pas être trop grand. L’économiste est très utile pour rapporter des faits et des mécanismes. Il peut éclairer sur les conséquences des différentes politiques, mais, entre des politiques qui ont chacune des avantages et des inconvénients, c’est bien sûr au politique et à la démocratie de décider de ce qui est préférable. Les économistes peuvent permettre de rationaliser le débat, c’est donc positif qu’ils aient une place dans le débat public. Sur ce point, il me semble d’ailleurs que les économistes font partie des chercheurs qui sont plutôt écoutés.