Cet article analyse les fondements de la crise économique dont le Liban subit les ravages depuis maintenant presque un an. Nous mettons en lumière le jeu dangereux exercé par la Banque Centrale du Liban avec son “ingénierie financière” et ses conséquences. Nous analysons par ailleurs la situation économique libanaise sur le plan du commerce et de la dette.
Le Liban a connu la semaine dernière un drame des plus importants lorsque le 4 août dernier, deux gigantesques explosions ont rasé Beyrouth. Les 2750 tonnes de nitrate d’ammonium stockées sur le port ont produit l’explosion la plus puissante jamais enregistrée, exception faite d’Hiroshima et Nagasaki.
Ce triste événement laisse 300 000 libanais sans domicile dans un pays en ruine tant au sens propre que figuré. Le Liban connaît en effet depuis la fin de l’été dernier une descente aux enfers sur le plan économique et politique. L’ensemble de la classe politique est unanimement conspuée et le pays ruiné, deux éléments principaux en sont responsables : une politique monétaire hasardeuse et une omniprésence de la corruption.
Une politique monétaire désastreuse
Le Liban s’est tout d’abord fixé un défi monétaire de taille, au sortir de la guerre. Riad Salamé, gouverneur de la Banque du Liban depuis 1993, a en effet adopté un régime en taux de change fixe. Cependant, maintenir le taux de 1$ pour 1 507 livres libanaises s’est fait au prix d’une « ingénierie financière » risquée, véritable chute en avant pour l’avenir économique du pays.
Pour rappeler ce en quoi consiste ce procédé, la Banque du Liban a eu besoin de s’assurer d’attirer des investissements en dollar. Pour cela, elle a proposé des placements très attractifs, dont les intérêts approchaient les 8 % (1) pour certains.
Ce stratagème a bien marché pendant un temps. Cependant, lorsque le climat politique s’est assombri à la fin de l’été dernier, les flux de dollars ont diminué jusqu’à devenir insuffisants pour rembourser les forts intérêts des placements antérieurs. Le manque de liquidités actuel est lié à la fin de ce mécanisme de Ponzi.
Ce système s’est totalement effondré sur lui même depuis l’automne dernier, en témoignent les taux de changes sur le marché noir, passant de 2000 livres libanaises pour 1$ au moment des manifestations à l’automne dernier à plus de 7000 livres pour 1$ à la fin de ce mois de juillet (2).
À ce dangereux phénomène de dépréciation non contrôlée, s’ajoute le risque de voir le pays bientôt crouler sous une dette colossale, favorisée par une situation commerciale compliquée.
La situation peu enviable du commerce libanais
En effet, la situation commerciale du Liban ne joue pas en sa faveur. Le pays utilisait majoritairement les importations et n’avait que de faibles exportations. Bien que l’on observe une baisse continuelle des importations depuis 2011, passant de 63% à 40% du PIB, cette part reste bien supérieure à celle des exports qui est passée, elle, de 37 % à 23 % sur la même période. Le ratio importations-exportations a même augmenté durant la dernière décennie ! Avec la destruction du port de Beyrouth, principal canal du commerce libanais, cette situation ne risque pas de s’améliorer.
Le Liban s’endette donc à des taux records et à un rythme qui ne sera bientôt plus soutenable. Depuis les années 2010, plus de 30 % du budget libanais annuel est associé au remboursement de ses intérêts. L’exécutif a pu faire des efforts en ce sens pendant la dernière décennie. Le ratio de ses dépenses sur ses revenus a en effet diminué.
Ces efforts restent insuffisants puisque subsistent, au minimum, 10 points entre les dépenses et rentrées d’argent du gouvernement (respectivement 26 % et 15 % du PIB en 2017). Les projections du FMI concernant la dette libanaise sont alarmantes. Elle est estimée à 150 % du PIB en 2019, et a augmenté de 26 % depuis 2012, son dernier point où elle fut la plus faible. Les simulations feraient état d’une augmentation de 30 % d’ici à 2024, la faisant culminer au vertigineux score de 180 % du PIB.
Cette double crise, de la dette et des liquidités, est meurtrière pour l’économie libanaise. Elle est une des priorités du gouvernement Diab, nommé à l’hiver dernier. En effet, si les taux bas mondiaux venaient à remonter, la gangrène qu’est la dette publique entraînerait le monde dans une grave crise dont le Liban souffrirait particulièrement.
Le gouvernement doit donc s’attaquer à ces problèmes rapidement, et ce sans retomber dans ses travers passés. La gestion, jusqu’ici sans vision à long terme, et la prise de décision biaisée par des problématiques de corruption ne peuvent continuer.
Afin de pallier ces difficultés, le Liban travaille depuis quelques mois à un ajustement structurel de sa dette, coordonné le FMI. Ce programme vise à aider financièrement un pays en péril en lui débloquant des prêts lors de la mise en place de réformes touchant le secteur financier, commercial ou social. Ces modifications concernent avant tout la lutte contre la corruption et la restructuration de sa dette, des priorités absolues pour le pays.
Bien que des discussions avancées aient eu lieu, celles-ci se heurtent à des blocages lié à la complexité du système politique libanais, représentant la quasi totalité des communautés qui composent le Liban. Ce tableau bien sombre n’annonce rien de bon pour ce pays dont la reconstruction, littérale et économique sera difficile.
Sources :
- Commerce du Levant
- L’Orient le Jour
- Les chiffres indiqués ont été repris à partir de données de la Banque Mondiale et de la Banque Centrale du Liban.