Le 21 décembre 2019, à Abidjan (Côte d’Ivoire), Emmanuel Macron et son homologue Alassane Ouattara, Président de la République de Côte d’Ivoire annonçaient la fin du franc CFA. Pourtant, si le franc français a disparu de la circulation en 2002, on peut s’étonner que ce ne soit que presque vingt ans plus tard que l’on annonce la fin du franc CFA. Dès lors, qu’est-ce que le franc CFA exactement, et pourquoi l’annonce des deux présidents fait-elle débat ?
Le franc CFA signifie « franc de la Communauté financière africaine ». Il est utilisé dans 14 pays d’Afrique qui constituent la zone franc. Elle comprend deux groupes d’Etats africains, huit d’Afrique de l’Ouest, à savoir le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo, et six d’Afrique centrale : le Cameroun, la République centrafricaine, la République du Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad.
Il existe en réalité des francs CFA :
- Le franc de la communauté financière africaine qui est utilisé au sein des pays membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA, en orange dans la carte ci-dessous),
- Et le franc de la coopération financière en Afrique centrale, utilisé dans les pays membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC, en rouge).
Chacune de ces deux unions économiques et monétaires dispose d’une Banque centrale. Celle de l’UEMOA se trouve à Dakar, au Sénégal, tandis que celle de la CEMAC se trouve à Yaoundé, au Cameroun.
Lors de sa création, le franc CFA signifie « franc des colonies françaises d’Afrique ». Il est né officiellement en 1945. Il s’agit d’instaurer une monnaie arrimée au franc : à sa création, un franc CFA équivaut à deux centimes français.
Il convient de souligner également la durabilité du franc CFA, qui a même survécu à la disparition de la monnaie à laquelle il était ancré. Ce phénomène peut être considéré comme un véritable anachronisme.
Cette monnaie se caractérise par sa remarquable stabilité à deux égards. D’une part, c’est une monnaie dont la valeur varie rarement. Au 19 août 2020, un euro est égal à 653,02 francs CFA. Entre 2019 et 2020, le franc CFA demeure stable. D’autre part, la zone franc constitue une situation de change fixe puisque la même monnaie est utilisée dans les différents pays.
Dans un régime de change fixe, le cours d’une monnaie est défini par rapport à un étalon de référence, en l’occurrence le franc français, et l’euro aujourd’hui.
Un franc CFA arrimé à une monnaie étrangère implique une perte de souveraineté pour les pays membres de la zone franc, car ils perdent leur instrument de politique monétaire, par exemple ils ne peuvent pas effectuer de dévaluation (*) pour accroître leur compétitivité-prix.
C’est le Trésor français qui garantit la convertibilité du franc CFA en euro, à la condition que les pays de la zone franc déposent 50% de leurs réserves à la Banque de France. Toutefois, et malgré les critiques, cet argent n’est pas utilisé par l’Etat français.
Le risque de perte de compétitivité-prix est vérifié pour les pays de la zone franc. En effet, ils doivent composer avec un franc CFA fort, dans un contexte où les autres monnaies africaines sont faibles (1).
Si la zone franc correspond à 13% de la population africaine, elle ne contribue qu’à hauteur de 8% au PIB du continent.
En outre, elle se spécialise dans les matières premières brutes non transformées, qui ne dégagent donc que peu de valeur ajoutée.
Bien que les deux francs CFA soient des monnaies structurellement fortes, elles sont très stables, connaissant une inflation bien plus faible que la moyenne des pays d’Afrique subsaharienne. C’est ainsi que le 21 décembre 2019 sont annoncés la fin du franc CFA et le passage à une nouvelle monnaie: l’eco.
Les réactions sont mitigées. Une conséquence directe de cette réforme est, pour le professeur de sciences économiques Désiré Avom (2), d’accélérer la distinction entre les deux unions qui composent la zone franc, l’UEMOA et la CEMAC, cette dernière n’étant pas concernée par la réforme.
Toujours selon lui, l’annonce du passage du franc CFA à l’eco sonne comme celle « des indépendances au début des années 1960 ». Toutefois, il rappelle que le changement de monnaie n’entraîne pas automatiquement de développement économique.
On retrouve ici une grande critique faite à l’annonce de réforme par Emmanuel Macron et Alassane Ouattara : que cette annonce soit « cosmétique », voire « une arnaque politique » (3).
L’économiste Felwine Sarr, membre de la BCEAO, estime que la réforme du franc CFA est une avancée non-négligeable. Mais pour lui, il s’agit toujours d’une « relation [qui] reste asymétrique, car le système n’a pas fondamentalement changé ». Il considère la réforme comme étant avant tout symbolique.
En effet, le projet de réforme fait par les deux présidents présente trois principaux aspects (4). Le premier correspond au changement de nom. De plus, la France va quitter le Conseil d’administration de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Jusqu’ici, elle exerçait un rôle de conseil et de surveillance. Enfin, cette réforme marque la fin de l’obligation faite à la BCEAO de déposer au minimum 50% de ses réserves extérieures sur son compte ouvert auprès du Trésor français, le « compte d’opérations ».
Toutefois, la France maintient la garantie de la convertibilité de l’éco en euro. Et, pour certains économistes africains (5), cette gestion monétaire est paradoxale. D’une part, cette particularité du franc CFA était au coeur des critiques formulées par les économistes africains. Ils préconisent à la place d’indexer l’eco sur un panier des principales devises mondiales, le dollar, l’euro et le yuan. (6) Selon eux, « l’inflation au sein de la Zone Franc n’est pas d’origine monétaire ». A la place, elle est guidée par les chocs d’offre, dont les aléas climatiques et la forte augmentation du prix du pétrole. D’autre part, les économistes considèrent même que, compte tenu du taux faible de bancarisation (**) des économies de la Zone Franc, la composante monétaire de l’inflation y est presque inexistante. Ainsi, l’inflation pénalise les économies de la région en les rendant moins compétitives et en déplaçant la priorité de la croissance économique vers la lutte contre l’inflation.
Les travaux du macroéconomiste togolais Kako Nubukpo révèlent même que les variations sont fortement indépendantes de la politique d’austérité budgétaire menée par les banques centrales de la Zone Franc. De nombreuses initiatives citoyennes témoignent d’une volonté populaire de se réapproprier une monnaie souveraine « confisquée » (7).
Les pays de la zone franc font partie des pays africains au plus faible PIB par habitant.
Patrick Guillaumont, président de la Fondation pour les Etudes et Recherches sur le Développement International (FERDI) et Silviane Guillaumont Jeanneney, conseillère scientifique à la FERDI mettent en outre deux problèmes en exergue. A court terme en effet, se pose le problème du maintien annoncé d’un système de change fixe avec garantie de la France. L’autre, à moyen ou long terme, consiste en la prise en compte des autres pays de la zone franc CFA dans ce changement. Il est notamment reproché à la réforme de confisquer le nom de l’eco, monnaie qui devait initialement être adoptée par les quinze pays membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEO), qui ne regroupe pas seulement les pays de l’UEMOA.
Enfin, selon des ministres de pays membres de l’UEMOA (8), la pandémie mondiale va encore ralentir le processus du passage à l’eco, dont les discussions ont débuté en 1987. Le Monde va même jusqu’à titrer, « la vraie fausse disparition du franc CFA » (9).
(*) La dévaluation consiste en une diminution volontaire de la valeur d’une monnaie nationale par rapport à l’or ou aux monnaies étrangères. Elle se distingue de la dépréciation, qui n’est pas volontaire.
(**) Le taux de bancarisation correspond au pourcentage des ménages ayant au moins un compte en banque.
Sources :
- Nubukpo K. et al. 2016 Sortir l’Afrique de la servitude monétaire : à qui profite le franc CFA ? Paris, La Dispute.
- Avom D. 2020 « Zone franc : fin et réincarnation », Politique étrangère, vol. Été, no. 2, pp. 115-127.
- Maillard M, Kouagheu J, Douce S, 27 décembre 2019, “« Semi-révolution » ou « arnaque politique », la fin du franc CFA vue par des économistes africains” Accessible à: https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/12/24/semi-revolution-ou-arnaque-politique-la-fin-du-franc-cfa-vue-par-des-economistes-africains_6023971_3212.html [consulté le 31/08/2020]
- Guillaumont P, Guillaumont Jeanneney S. 2020 « Afrique de l’Ouest : la fin du franc CFA », Commentaire, vol. numéro 169, no. 1, pp. 69-74.
- Moussa Dembélé D, Nubukpo K, Ze Belinga M, 2015 « Franc CFA : Les termes nouveaux d’une question ancienne », Présence Africaine, vol. 191, no. 1, pp. 237-250.
- Agence France Presse et Capital, 2019, “Que signifie vraiment la fin du franc CFA ?” https://www.capital.fr/economie-politique/que-signifie-vraiment-la-fin-du-franc-cfa-1358317
- Gassama M, Moussa Dembélé D, Sylla K, Belinga Z Pétition : « Appel pour une zone franc libre », accessible à : www.zone-franc-libre.net , [mise en ligne le 04 novembre 2012, consultée le 31/08/2020]
- Bensimon C, de Vergès M, 12 juillet 2020, “La vraie-fausse disparition du franc CFA” accessible à : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/07/11/malgre-la-mort-annoncee-du-franc-cfa-l-eco-n-est-pas-encore-ne_6045915_3212.html [consulté le 31/08/2020]
- Le Monde, éditorial “La vraie-fausse disparition du franc CFA”, accessible à: https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/12/26/la-vraie-fausse-disparition-du-franc-cfa_6024101_3232.html [consulté le 31/08/2020]