Les institutions internationales prônent un assainissement des finances publiques françaises. Bercy engage sa crédibilité en répondant par une politique de consolidation budgétaire. Néanmoins, n’y a-t-il pas un manque à gagner en se focalisant sur l’immédiateté ?
Bercy sous la pression des institutions qui préconisent un assainissement des finances publiques
« Il est temps d’arrêter le quoi qu’il en coûte », cette phrase énoncée par Jeffrey Franks, chef de mission pour la France au Fonds Monétaire International le lundi 21 novembre 2022 a marqué la fin d’une ère, celle de l’aide massive aux ménages par le gouvernement français. Effectivement, par cette injonction, l’institution de Washington fait passer un message clair : la France doit, impérativement et le plus tôt possible, assainir ses finances. Message largement soutenu par la Commission européenne ainsi que les agences de notation.
Confronté au gel de l’activité imputable à la pandémie de Covid-19 ainsi qu’à la hausse des prix de l’énergie majoritairement due à la guerre en Ukraine le gouvernement français a, depuis 2020, multiplié les mesures de soutien aux ménages. En guise d’illustration, l’allocation chômage partiel a représenté, uniquement en 2020, un coût de 27 milliards d’euros et le bouclier tarifaire présente, en 2023, un coût de 47 milliards d’euros. Dans ce contexte, le FMI invite Bercy à réduire d’urgence la croissance de ses dépenses courantes tout en menant des réformes de fond comme celle portant sur les retraites, l’objectif étant de ramener le déficit public à 0,4% du PIB d’ici 2030.
En mars 2023, la Commission européenne rappelle elle aussi la nécessité pour les États Membres de garantir, par la conduite de leur politique budgétaire, la soutenabilité de la dette à moyen terme ainsi que la favorisation d’une croissance durable et inclusive. Concrètement, Bruxelles invite les États Membres à prendre en considération la remise en place dès le 1er avril 2024 des seuils budgétaires (un déficit public inférieur à 3% du PIB et une dette publique inférieure à 60% du PIB). Ces seuils, en place depuis le traité de Maastricht, avaient été suspendus durant la pandémie, car ils contraignent les Etats dans leur relance. Il est actuellement question de réévaluer ces seuils et plus globalement de refonder le Pacte de Stabilité et de Croissance, même si le Pacte pré-covid continuera à s’appliquer de facto tant que les amendements n’auront pas été actés. La remise en place de ces seuils n’est pas l’unique défi pour la France qui présente déjà un déficit public à 4,9% du PIB en 2022. Effectivement, la menace du Fonds Monétaire International est d’autant plus crédible que la Commission européenne rouvre les procédures pour déficit abusif au printemps 2024.
L’abaissement de la note de la France par l’agence de notation Fitch le 29 avril 2023 à AA- a cristallisé un signal de finances publiques françaises « malades » à l’échelle systémique. Effectivement, alors que les institutions précédemment citées tablaient sur de la prévention (ainsi une pression ex ante à vocation incitative), l’agence de notation fondée par John Knowles affirme une sanction (pression ex post). Ce coup de tonnerre financier a été dans une certaine mesure relativisé par le maintien de la note de la France par S&P Global à AA, le 2 juin 2023. Toutefois, bien que Bruno Lemaire se soulage de ce double A dans lequel il voit un signal de politique des finances publiques « claire, ambitieuse et crédible », l’agence de notation rejoint sa concurrente en maintenant ses perspectives négatives quant à la santé budgétaire de la France. Il faudra selon ces dernières attendre 2027 pour que le déficit public passe en dessous du seuil européen de 3%. Il est important de noter qu’en 2027, toujours selon ses perspectives, la dette française ne respectera pas le seuil de 60% précédemment cité. Cette dernière le dépasserait largement pour s’établir à 108% du PIB, ce qui ne représenterait qu’une diminution de 3,6 % par rapport au niveau de 2022 (111,6% du PIB). La France est – et pourrait donc potentiellement demeurer – le pays de la catégorie AA présentant le niveau d’endettement le plus élevé.
Les enjeux de crédibilité et d’arbitrage incombant à la politique française de consolidation budgétaire
Paris, sous cette pression budgétaire pharaonique, n’a pas d’autres stratégies que d’opter pour la consolidation de ses finances publiques et d’honorer ses promesses, il en va de sa crédibilité. L’enjeu est de taille lorsque l’on se rappelle qu’une période de consolidation budgétaire est une année où le solde primaire corrigé des variations cycliques s’améliore d’au moins 2 points de PIB (1).
Bercy articule cet effort budgétaire autour de deux outils : les réformes conjoncturelles et les réformes structurelles. La réforme structurelle, qui a largement retenti dans le débat public, n’est autre que la réforme des retraites. Effectivement, même si cette réforme apparaît comme décorrélée de la pression des institutions, elle en est le cœur même. Après avoir exprimé à la France la nécessité de mettre en place des réformes de fond, le FMI apporte le 30 janvier 2023 un soutien public à la réforme des retraites. L’enjeu de cette réforme était encore au-delà d’un assainissement des finances publiques. Si l’effort reposait notamment dans l’augmentation en volume de la main d’œuvre potentielle par l’abaissement de l’âge légal de départ à la retraite de celle-ci à 64 ans, pour les agences de notation il en allait d’un dégel des tensions politiques. La conduite de cette réforme a apaisé la fragmentation politique à l’échelle nationale et parlementaire – qui d’ailleurs n’a pas de majorité absolue depuis mi-2022 – qui accroissait l’incertitude économique et qui était la première raison de l’abaissement de la note de Fitch.
La consolidation des finances publiques est soutenue par la multiplicité de réformes conjoncturelles comme celle visant à supprimer les subventions portant sur le gaz sur lesquelles s’appuyait en grande partie le bouclier tarifaire. Néanmoins, cet effort d’assainissement présente des défis certains et pose des questions de priorité et d’arbitrage majeures. Le 19 juin 2023 se sont déroulées les Assises des finances publiques à Bercy et la trajectoire des finances publiques présentée à la Commission européenne apparaît complexe à respecter dans un contexte de relance française sur la décarbonation ou la reconquête industrielle : le déficit public s’élève à 2,7% et la dette à 108,3% d’ici 2027. En effet, Bercy est contraint par le plan France Relance – d’ailleurs lui-même contraint par les fonds alloués par NextGenerationEU – qui dégage d’ambitieux objectifs et nécessite des finances non-négligeables : 30 milliards d’euros à l’écologie et la transition énergétique, 34 milliards à la compétitivité des entreprises et 36 milliards à la cohésion des territoires d’ici 2030.
La tenue d’une politique budgétaire de soutien massif aux agents est certes coûteuse, mais n’est-elle pas une politique de moindre mal ?
Il est clair que Bercy est dans une situation critique vis-à-vis de ses finances, mais pouvons-nous réellement lui taper sur les doigts ? Si la politique budgétaire en était restée aux stabilisateurs automatiques, le bien-être collectif aurait-il été maximisé ? Non. Il est donc intéressant de rationaliser la pression que les différentes institutions mettent sur Bercy.
D’une part, le bazooka budgétaire mis en œuvre depuis 2020 relève d’une logique exceptionnelle. L’idée largement partagée que la France a toujours été un pays outrepassant les critères de Maastricht est infondée. Il faut garder en mémoire qu’en 2019, année pré-Covid, le déficit public saturait la contrainte de 3% du PIB. D’autre part, il est clair que si Bercy avait laissé jouer les stabilisateurs automatiques, les indicateurs de viabilité budgétaire auraient présenté de meilleurs résultats, mais il faut aussi comprendre à qui incombe le coût de la relance. Si l’État n’avait pas choisi de prioriser le bien-être des ménages et des entreprises, ce sont les mêmes agents qui auraient porté le coût de la relance. Pour illustrer ce propos, selon l’INSEE, en l’absence du bouclier tarifaire, l’inflation entre T2 2021 et T2 2022 aurait été 3,1 points plus élevée (ces 3,1 points sur 5,3% d’inflation reflétaient le renchérissement de l’énergie consommée par les ménages). Les recettes budgétaires provenant, en caricaturant, des impôts et taxes ou de la dette. Alors que le recours à la dette n’est pas réellement contraint, l’État étant considéré comme un agent « immortel », il n’est donc pas tenu de rembourser à la fin d’une période donnée. Il existe une limite socialement acceptable à l’impôt, il est impossible de « sacrifier » une génération.
En esquissant un parallèle avec la guerre en Ukraine et ses effets dominos économiques, cette problématique « d’allocation du coût de la relance » est toujours au cœur des débats. Il suffit de comparer le prix du kilowattheure en 2022 entre l’Allemagne, l’Italie et la France : respectivement 0,3357€, 0,3641€ et 0,1464€. À noter que la France est le seul pays ayant mis en place un bouclier tarifaire d’une envergure considérable.
La pression sans précédent des institutions sur Bercy pourrait donc répondre à une logique politique, dans un contexte où certains voyants économiques non-négligeables sont au vert. Le taux de chômage est à 7,1 % au sens du BIT au premier trimestre 2023 (un record depuis 1982), la consommation prévue en 2024 s’accélère (+1,5%) selon les prévisions de la Banque de France, et le nombre de projets d’investissements directs à l’étranger a explosé entre 2021 et 2022 (+7%). La dégradation de la note de la France rappelle la perte du triple A, emblème français sous Nicolas Sarkozy, qui a pesé sur sa candidature pour un second mandat.
Prioriser la composition des dépenses publiques au montant de ces dernières : la clé pour cultiver les gains de productivité ?
Le débat portant sur les finances publiques a pour principal sujet le montant des dépenses publiques, fermement contraint par les règles européennes. Toutefois, si la priorité était portée sur la composition de ces dépenses, les finances publiques s’assainiraient d’elles-mêmes par un phénomène auto-entretenu.
Si les postes de dépenses conjoncturelles étaient substitués au profit des dépenses structurelles, les gains de productivité seraient maximisés et l’écart de production minimisé. Ce surplus de ressources, quantifiable, pourrait être une source de recettes qui servirait à financer des investissements structurels futurs. L’analyse de la théorie du capital humain (2) de R. Lucas, l’un des théoriciens de la croissance endogène, s’avère ici pertinente. Investir dans le capital humain (i.e l’ensemble des formations, connaissances et bonne santé du travailleur qui le rendent plus productif) par l’intermédiaire d’investissements dans le système de santé ou le système éducatif induit une main d’œuvre plus productive et donc des gains de productivité, déterminant de la croissance économique. Cette façon d’aborder la théorie des dépenses publiques permet de voir plus loin qu’une politique de consolidation budgétaire portée sur le présent et qui néglige les postes de dépenses structurelles.
En optant pour une vision plus court-termiste, prioriser les dépenses structurelles permettrait un redressement presque immédiat des indicateurs de viabilité budgétaire. En effet, le ratio dette sur PIB peut être réduit en diminuant la dette ou en augmentant le PIB. Ainsi, en encourageant des dépenses tournées vers l’avenir, les ratios pourraient sensiblement diminuer. Cette vision apparaît présente sur la scène économico-financière actuelle avec d’importants plans de relance qui comportent un volet structurel non négligeable en Europe (NextGenerationEU : 800 Mds €) ou aux USA (Buid Back Better : 1800 Mds $).
Enfin, plus globalement, à l’échelle européenne, la tendance est au changement d’horizon temporel. Effectivement, substituer un horizon de court terme voire instantané pour un horizon de moyen terme semble être aux cœurs des débats européens. En plus du plan de relance majeur mentionné précédemment, une refonte du cadre budgétaire européen est rendue possible par la suspension du Pacte de Stabilité et de Croissance depuis 2020. Pour de nombreux économistes, le sujet majeur de cette refonte porte sur les règles budgétaires jugées statiques. C’est en effet le cas de Philippe Martin, Jean Pisany-Ferry et Xavier Ragot qui font entendre leurs recommandations dans la note « Pour une refonte du cadre budgétaire européen » (3). Ils dénoncent une méfiance vis-à-vis des politiques budgétaires expansionnistes et préconisent – entre autres – une cible de dette à horizon de 5 ans déterminée nationalement puis validée par une instance budgétaire européenne indépendante.
Aller vers un horizon de moyen terme permet un rattrapage rapide des pays les plus endettés du fait d’un espace budgétaire agrandi, ce qui limite l’hétérogénéité dans la zone euro. Une plus grande capacité budgétaire bénéficierait tant aux pays dépensiers qu’aux pays orthodoxes, les premiers jouissant d’un instrument budgétaire efficace qui leur offre une confiance rétablie, un coût d’endettement à la baisse et donc une réduction des spreads sur les marchés financiers et les seconds qui tirent parti des politiques de relance budgétaire étrangères. Effectivement, si le Portugal accentue sa politique de relance budgétaire, toutes choses égales par ailleurs, les agents économiques vont consommer et investir, certes au Portugal, mais également à l’étranger : prenons le cas de l’Allemagne. La demande globale allemande est plus importante, ce qui alimente directement la croissance économique du pays. Mais ce n’est pas la seule externalité positive pour l’Allemagne qui va également bénéficier simultanément d’une amélioration de sa balance commerciale (BC = exportations – importations). Le Plan Mauroy mis en place en France en 1981 sous F. Mitterrand est un exemple concret de ce mécanisme économique.
Sources
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Alesina A. et al. 1998. The Tales of fiscal adjustment. Oxford University Press.
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Lucas R. 1988. On the mechanics of economic development. University of Chicago.
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Martin P. Pisany Ferry J. Ragot X. 2021. Pour une refonte du cadre budgétaire européen. Conseil d’Analyse Économique.