Pierre Rousseaux – Pourquoi êtes-vous intéressé à l’économie, à la recherche et pourquoi avoir poussé dans le monde académique?
PHILIPPE MARTIN – Mes débuts en économie n’étaient pas évidents. En réalité, mes premiers cours m’ont laissé une mauvaise impression, et je n’ai pas du tout aimé cela. Cependant, au fil du temps, mon intérêt pour cette discipline s’est progressivement développé. J’ai étudié à Sciences Po, puis à Dauphine, avant de décider de poursuivre mon doctorat aux États-Unis. Initialement, je n’envisageais pas du tout une carrière académique. J’avais des opportunités au FMI ou en université, et j’ai longuement hésité. Finalement, je me suis laissé séduire par le monde de la recherche, et je ne le regrette absolument pas. Cela a été une expérience intellectuellement enrichissante pour moi.
Je dois dire toutefois que de nos jours, je trouve que la course aux publications est particulièrement difficile pour les jeunes chercheurs en économie. C’est un environnement très compétitif, mais en même temps, intellectuellement stimulant. D’autre part, il y a tant de sujets passionnants, comme les questions liées à l’énergie et à l’environnement, qui bénéficient désormais de nombreuses données disponibles.
De mon point de vue, commencer par la recherche académique a été essentiel, surtout lors de mon rôle en tant que conseiller économique auprès d’Emmanuel Macron, au sein du Conseil d’Analyse Économique. Cela facilite la transition vers des sujets plus appliqués, politiques et liés aux politiques publiques et économiques. L’inverse serait quasiment impossible.
Vous évoquez votre passage du monde académique à un rôle plus appliqué. Quel a été la raison de ce souhait d’implication dans le débat public ?
Vous savez, au début de ma carrière, je me suis concentré sur des aspects relativement théoriques, mais mon intérêt pour les débats publics était toujours présent. Peut-être que ma formation à Sciences Po a eu une influence à cet égard. Il y a différents types de chercheurs. Certains se consacrent entièrement à la recherche purement théorique, et je trouve cela très louable. Pour ma part, à un moment donné, j’ai ressenti le besoin de m’impliquer davantage, de me lancer dans le grand bain, pour ainsi dire, et de m’ouvrir aux discussions et aux rencontres.
C’est à ce moment-là que j’ai réalisé à quel point l’analyse économique pouvait être utile pour de nombreuses questions liées aux politiques publiques. J’ai compris que cela m’intéressait profondément, et que cela apportait une dimension excitante, différente de la simple satisfaction intellectuelle. En fait, il y avait un aspect politique qui m’a vraiment captivé. Je pense que diversifier ses expériences professionnelles au cours d’une carrière est une bonne chose. Cela permet de se confronter à des défis différents et d’explorer divers aspects du domaine de recherche.
À vos yeux, quelles ont été pour vous les grandes évolutions ces dernières années dans la recherche en économie, et quels sont les enjeux futurs ?
La recherche en économie a connu une grande évolution, principalement grâce à une approche de plus en plus empirique et basée sur des données. Nous disposons aujourd’hui de riches données micro sur les ménages et les entreprises, ce qui a véritablement révolutionné nos méthodes de recherche. Il est désormais difficile de mener une recherche purement théorique sans aucun test empirique, et je considère cela comme un grand progrès.
Un autre aspect positif est l’ouverture de l’économie à des débats qui n’étaient pas suffisamment explorés auparavant, même si cela pourrait s’accélérer. Les sujets tels que les inégalités, les discriminations et l’environnement sont devenus plus fréquents dans la recherche économique, et on assiste à un effort de dialogue avec d’autres sciences sociales. Bien que des améliorations soient encore nécessaires, cette ouverture d’esprit attire davantage de personnes intéressées par des débats autrefois fermés.
Un changement nécessaire s’est également produit au niveau des séminaires en économie. Dans le passé, ils pouvaient être très agressifs et critiques, créant un environnement peu accueillant, notamment pour les jeunes chercheurs et notamment pour les femmes. Heureusement, ces séminaires sont devenus un peu moins agressifs, bien qu’il reste encore des progrès à accomplir. Dans d’autres sciences sociales, les séminaires sont souvent plus constructifs, permettant une présentation complète avant les critiques. Par exemple, en séminaire d’économie, dès le début de la présentation, les critiques et questions sont nombreuses et parfois fortes. À l’inverse, dans d’autres domaines comme en sociologie, les questions sont posées à la fin de la présentation. Il est essentiel de continuer à évoluer dans le bon sens pour que la recherche en économie soit plus ouverte, constructive et accueillante pour tous les chercheurs et chercheuses.
Enfin, quel est pour vous le rôle de l’économiste ? Y’a-t-il ou devrait-il y avoir une cloison entre sa production scientifique et son implication dans le débat public ?
Je ne crois pas qu’il y ait de cloisons trop rigides entre la recherche économique et les recommandations de politique publique. Certes, je comprends les économistes qui préfèrent ne pas s’aventurer sur le terrain des recommandations politiques, mais personnellement, je trouve que c’est là que réside l’intérêt, du moins dans les domaines sur lesquels je travaille. Réfléchir aux recommandations de politique économique est passionnant et enrichissant. Pour moi, il n’y a pas de cloisonnement.
Cependant, il est essentiel de faire attention à ne pas trop mélanger ses propres opinions politiques avec la partie scientifique d’un papier. Il est normal d’avoir des options politiques personnelles, mais elles doivent être séparées autant que possible de la partie scientifique, qui doit s’efforcer d’être aussi objective que possible. Il convient de réserver la conclusion d’un papier pour exprimer ses opinions personnelles et les orientations politiques souhaitées. Toutefois, je constate que de plus en plus, certains papiers affichent clairement leur orientation politique, surtout dans des domaines qui touchent directement à des questions politiques.