Mathieu Savary est Chief European Strategist chez BCA Research. Dans cette conversation, quelques heures avant les résultats du second tour des législatives en France, nous discutons des réactions des marchés financiers aux résultats des élections européennes du 9 juin dernier, ainsi que des réactions qui ont suivi l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale et du premier tour des élections législatives.
Max Pommier – Les résultats des élections européennes en France ont été un véritable choc dans le débat public, suivis par l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale. Comment les marchés financiers ont-ils réagi à ces résultats et annonces ?
MATHIEU SAVARY – Tout d’abord, les futures[1] n’ont pas montré de choc immédiat, mais il y a eu un choc qui a émergé après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale en France. En termes de variation, il y a eu un mouvement particulièrement violent dans l’écart entre les bons du trésor françaises (OAT) et allemandes (Bunds).
Les actions françaises, quant à elles, ont sous-performé le reste de la zone euro, en particulier les actions des banques françaises. Globalement, les actions européennes ont montré une très mauvaise performance, surtout en comparaison avec les actions américaines qui ont continué de croitre. Étant donné que le bêta des actions européennes par rapport aux actions américaines (sensibilité du rendement d’une action européenne par rapport aux fluctuations des actions américaines) est très proche de 1 (proportionnalité des fluctuations presque exacte entre ces deux actions), normalement quand les actions américaines montent, les actions européennes montent aussi. Le fait que les actions européennes aient diminué dans ce contexte souligne à quel point la nouvelle a été prise de façon pénible par les marchés financiers européens.
Hors de France, la baisse des performances s’est donc matérialisée après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale et non après les résultats des élections européennes, soulignant l’importance choc engendré par le premier ?
Exactement. Les résultats des élections européennes ont été globalement en ligne avec les anticipations. Il y avait des craintes avant l’élection que peut-être Ursula von der Leyen ne pourrait pas rester présidente de la Commission européenne, mais les résultats ont été suffisamment centristes, centrés droit certes, pour qu’elle puisse rester en poste. Donc, il n’y a pas eu de surprise majeure au niveau européen.
Le vrai choc a été l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale en France, créant la peur d’un gouvernement Rassemblement National (RN). Une autre crainte s’est ajoutée, que ce soit le Rassemblement National ou le nouveau Front Populaire (NFP) qui prenne le pouvoir, deux groupes auxquels les marchés ne font pas confiance du tout.
Vous soulignez que les marchés n’ont pas confiance, que ce soit envers le RN ou le NFP. Quelles seraient leurs réactions si l’un de ces partis arrivait au pouvoir ? Y aurait-il des réactions potentiellement plus fortes pour l’un des deux ?
À l’heure actuelle, les marchés semblent tenir pour acquis que l’extrême gauche ou l’extrême droite prendra le pouvoir. Il est difficile de savoir exactement comment le marché réagirait si cela arrivait. À court terme, s’il s’agit de l’extrême droite, on pourrait voir une continuation des tendances actuelles : des actions européennes faibles, des actions françaises particulièrement faibles et un euro en appréciation par rapport au dollar américain. Les investisseurs étrangers craignent que si le Rassemblement National prend le pouvoir, il pousse à la sortie de la zone euro, donc il y a une peur de Frexit (sortie de la France de l’UE). Cette peur est exagérée selon nous (BCA Research), car le Rassemblement National a abandonné son discours anti-euro, sachant que 70 à 75% de la population française supporte l’euro. Donc même s’il y a une chute des actifs européens à très court terme avec l’annonce d’un gouvernement Rassemblement National, nous pensons que les actifs européens reprendront de la vigueur dans les semaines qui suivent.
Peut-on s’attendre à un rebond des marchés suite à la forte baisse qui a suivi l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale ?
Oui, notre hypothèse de base est que personne ne sera en mesure d’avoir une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Que ce soit le Rassemblement National, le nouveau Front Populaire, ou les partis centristes, pour gouverner, il faudra faire appel aux centristes, ce qui forcera des concessions. Donc, les mesures extrêmes ne passeront probablement pas. Dans le cas où le Rassemblement National forme une majorité, il y aura probablement une panique initiale, mais le marché rebondira une fois qu’il se rendra compte que la probabilité de Frexit est faible.
Les anticipations vont-elles également dans ce sens concernant l’impact sur les ménages et les entreprises, avec notamment l’un des enjeux majeurs de la campagne, à savoir le marché du travail et plus précisément le taux de chômage ?
À court terme, l’incertitude n’est pas bonne pour les entreprises, et cela se reflète déjà dans les indices des directeurs d’achat en France et en Europe. À moyen terme, si les marchés ne rebondissent pas, cela resserrera les conditions financières, impactant négativement la croissance et augmentant potentiellement le chômage.
Comment les autres pays européens voit-il notre situation ?
Il y a une compréhension que la France ne se dirige pas vers un Frexit. La droite italienne et d’autres pays voient cette situation comme une opportunité d’unir leurs forces. Au Royaume-Uni, ils sont davantage concentrés sur leurs propres élections. À Berlin, il y a une frustration avec Macron, mais tout le monde est en attente de voir ce qu’il va se passer.
Un point important est que l’écart entre les taux offerts par les obligations françaises et les obligations allemandes a atteint 80 points de base vendredi dernier. La politique fiscale française est problématique, la France étant maintenant l’un des pays les plus endettés en Europe. À moyen terme, les investisseurs devraient préférer les obligations espagnoles et italiennes aux obligations françaises.
Il existe donc une peur autour de la dissolution de l’Assemblée nationale mais il y a également un problème de fond avec la gestion du déficit français.
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