La diminution simultanée des taux de mortalité et de natalité entraîne un vieillissement de la population. Bien que souhaitable et enviée par de nombreux pays, l’augmentation de l’espérance de vie présente toutefois un défi majeur pour les politiques publiques : assurer le financement du système de retraite actuel afin que chacun puisse vieillir dans des conditions de ressources suffisantes.
Caractéristiques principales du stystème français
Il existe deux systèmes principaux de retraites possibles; celui par répartition (le plus courant dans les pays de l’OCDE) et celui par capitalisation.
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La répartition consiste à financer les dépenses courantes de pensions de retraite par les recettes courantes de cotisation ;
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La capitalisation conduit à investir les cotisations perçues dans l’économie ; le paiement des pensions est, par la suite, réalisé grâce aux revenus du capital et à la vente d’actifs.
En France, le principe général de financement est la répartition intergénérationnelle : des cotisations prélevées sur les salaires des actifs financent ainsi les pensions des retraités.Toutefois, il n’existe pas moins de 42 régimes spéciaux de retraite, répartis en 3 grandes familles. Leur gestion et leur financement sont assez complexes, et administrés par des organismes spécifiques qui n’ont eu de cesse d’évoluer depuis la période d’après-guerre. La vocation de ces systèmes reste néanmoins identique : maintenir une solidarité “minimale” et “juste”, afin de garantir un niveau de vie minimum à la retraite et positivement corrélées aux cotisations versées.
En France, le minimum contributif assure une pension de base de 705,36 euros par mois après 30 années cotisées. En complément, l’aide sociale peut verser une allocation (ASPA) pour un revenu disponible total de 906,81 euros par mois. Concernant les régimes à prestations définies (secteur privé et fonctionnaires notamment), la retraite est versée en proportion du revenu d’activité, selon la formule suivante :
avec :
[1] SAM, le salaire annuel moyen, calculé sur les 25 meilleures années ;
[2] Taux de Liquidation, à taux plein (50%), avec décote ou surcote selon le nombre de trimestres cotisés
Puisque la majorité des pensions versées en France sont régies sur le principe de la répartition, il existe un équilibre financier des systèmes de retraites théorique pour que l’ensemble des sommes cotisées puisse égaler l’ensemble des pensions versées. Cet équilibre repose ainsi sur les variables suivantes :
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les taux de cotisation
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l’âge de départ à la retraite
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le montant des pensions
Déséquilibre observé
Comme la majorité des pays de l’OCDE, la France achève sa transition démographique et affiche ainsi un vieillissement tendanciel de sa population, qui s’exprime par la baisse des taux de fécondité et de mortalité. Ainsi, le poids relatif des +65 ans par rapport à celui des 20/64 ans est à la hausse. Accentuée par l’arrivée progressive des baby boomers à l’âge de la retraite, cette hausse devrait s’accélérer jusqu’en 2040. Ainsi, alors que dans les années 1960[3] il y avait un retraité pour quatre cotisants, ce ratio est en 2019 de 1.7 seulement, soit une perte moyenne annuelle tout juste supérieure à un point de base. Les projections de l’INSEE et du COR anticipent également un ratio de 1,4 d’ici 2050.
La dégradation de ce ratio exprime ainsi un déséquilibre croissant dans l’équilibre financier intergénérationnel, puisque l’augmentation du poids des retraites est bien plus significative que le nombre de cotisations perçues[4]. A titre d’exemple, le poids des pensions de base pour les salariés du secteur privé devrait augmenter de façon presque constante, passant ainsi de 5,5 % en 2017 à 6,5 % du PIB en 2070 (COR, 2017). Cela représenterait aujourd’hui environ 26 milliards d’euros de déficit brut à contrebalancer.
Difficulté de rééquilibrage et conséquences
De plus, la crise financière de 2008 et la crise sanitaire de 2020 ont pesé assez significativement sur le financement du système de retraite[5], générant un déficit récent plus important. Au fur et à mesure de la dégradation du ratio cotisants/retraités, les politiques publiques ont tenté d’amoindrir au fil de l’eau et de façon ad hoc les effets du vieillissement de la population et des crises passées sur l’équilibre des retraites. Ces réformes tentent ainsi d’ajuster les variables précitées, avec notamment des hausses sur les taux de cotisation[6]; la réduction des montants directs ou des composantes d’aides aux pensions ; ou encore plus récemment la dernière réforme déclenchée par Elisabeth Borne visant à repousser l’âge de départ à la retraite).
Cependant, aucune de ces réformes ne permet de compenser intégralement cette dégradation naturelle importante. Au mieux, elles peuvent permettre d’en atténuer l’impact. Pour de nombreux économistes, il s’agit d’une fuite en avant, certains étant même convaincus que les nouveaux cotisants percevront des pensions dérisoires, voires nulles une fois retraités[7]. Face à ce discours alarmant, la communauté scientifique et les conseillers politiques se sont très largement mobilisés, afin de trouver des solutions pérennes, pouvant être acceptables pour les populations concernées.
Afin de lisser les effets du vieillissement, certains pays tels que la Suède, ont opté pour la constitution d’importants fonds de réserve, qui permettent de rééquilibrer dès que nécessaire le déficit généré par les variations du ratio cotisants/retraités. Malheureusement pour la France, les fonds de réserve[8] sont bien plus modestes (6,7 % du PIB en 2020 en cumulé) et ont été largement entamés par les crises financières passées.
Sans réel changement, les organismes d’affiliations tels que la CNAV seraient déficitaires et la situation financière continuerait de s’aggraver. Selon les derniers rapports, l’effort annuel hypothétique (TCC et EPR) serait de l’ordre de 0,45 et 0,53 point de PIB entre 2020 et 2040.Ce déficit récurrent et croissant implique donc nécessairement un besoin de réforme profond, à défaut de trouver le soutien permanent de l’État (cf: tableau).
Apport de la recherche
La nécessité de restaurer l’équilibre financier à moyen terme (d’ici 2050) a été largement étudiée au travers de scénarios multiples sur les dernières années, bien qu’il n’y ait pas de consensus. A ce jour, il a été imaginé :
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La réduction progressive des pensions versées par les organismes, afin de diminuer les dépenses. Toutefois, ces montants connaissent un seuil plancher, puisqu’il existe un minimum en dessous duquel les populations les plus modestes ne pourraient pas vivre décemment ;
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L’augmentation du taux de cotisation afin de générer davantage de recettes. Toutefois, sa marge est plutôt limitée puisque la France possède déjà l’un des taux les plus importants de l’OCDE ;
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Le report de l’âge moyen de liquidation des pensions. Cela a fait l’objet de la réforme du dernier 49.3 en mars 2023, et au-delà de l’acceptabilité de la proposition et de la pénibilité inhérente au train de vie, l’employabilité des séniors constitue un problème majeur ;
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La création d’un régime universel de base, qui permettrait d’adopter des principes contributifs et solidaires communément partagés. Néanmoins, d’un point de vue contributif, cela pourrait paraître “injuste” en fonction des modes de calcul définis ;
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Pour les fonctionnaires, le ralentissement du nombre d’emplois ainsi que le gel de la valeur du point d’indice de traitement des agents d’Etat afin de limiter les dépenses. Toutefois, de telles réformes peuvent provoquer des externalités négatives importantes, comme l’abaissement du niveau scolaire en France pour les employés de l’éducation nationale.
Ces mesures, bien que pertinentes, démontrent qu’il n’existe pas à ce jour de solution Pareto-efficiente, puisque l’équilibre visé dépend avant tout de l’équité recherchée. Souvent résumé à un paradigme économique complexe, le système de répartition des retraites est ainsi une décision politique et sociale.
Par ailleurs, des études récentes publiées par l’IPP[9] prônent un pilotage relatif des objectifs, avec une trajectoire cible, plutôt qu’un unique scénario unique réévalué périodiquement par des mesures techniques itératives. Afin de permettre un système fonctionnel et équitable, il s’agirait ainsi de déterminer à l’avance les valeurs cibles annuelles jusqu’à l’horizon de pilotage, en y indexant des marges de variations permettant de compenser les éventuels correctifs résiduels. Dans cette thèse, les objectifs cibles (e.g : le niveau des pensions ou l’âge de départ) seraient relatifs . Ils ne seraient donc plus calculés de manière absolue (e.g.: montant en euros), mais via des rapports comparés (ex: montant / revenu d’activité moyen ; ou annuités travaillées / espérance de vie moyenne). Bien que cette vision soit soutenue par de nombreux économistes, elle suit l’inverse des logiques instrumentales parlementaires actuelles et semble donc peu réaliste à ce jour.
Enfin, il est également possible de tirer parti des systèmes existants à l’étranger. Par exemple, certains pays européens[10] ont mis en place des mesures d’ajustement automatiques[11]), voire d’équilibrage financier automatique[12] plus ou moins contraignant. Dans tous les cas, de nombreux experts laissent à penser que le système actuel tend vers une refonte pour un système universel de retraite qui réunirait les 42 régimes spéciaux actuels selon un unique mode de calcul de pension par points[13]. Une réforme similaire avait été déposée au parlement en mars 2020, mais fût délaissée suite aux mesures alternatives prises par l’ancienne majorité présidentielle.
En dehors de la complexité économique inhérente au modèle existant bipartite de rétribution des pensions, les difficultées occasionnées par le vieillissement de la population sur les pensions de retraites sont particulièrement délicates à traiter, car le sujet est sensible, en raison de l’importance de la population ciblée (cotisants comme retraités) et de l’impact sur leur qualité de vie.
Sources :
[3] le point haut est atteint en 1965, avec un ratio de 4.25
[4] Avant 2009, le poids des pensions était de l’ordre de 12,4 % points de PIB, contre 14,1% en 2014 au plus haut. .
[5] les contractions du PIB en 2009 de 3 % puis de 8% en 2020 ont conduit à une hausse mécanique du poids des dépenses dans le PIB
[6] entre 1970 et 2018, le taux sous le plafond des travailleurs du secteur privé a plus que doublé en 50 ans (environ 28 % du salaire brut en 2021 contre 12,75 % en 1970)
[7] Interview de Marc Touati, Le mensonge face à la réalité ? (Youtube Thinkerview, 2024)
[8] Le fond de réserve a été crée en 1997 pour le régime de base
[9] Institut des Politiques Publiques, Patrick Aubert & Carole Bonnet, 2024
[10] réforme des années 2000 en Suède
[11] indexation de la valeur liquidative sur l’évolution de l’espérance de vie dans un régime par points ou coefficient de conversion révisé annuellement dans un régime en compte notionnel
[12] obligation de satisfaire un critère de solvabilité
[13] Masson et Touzé, 2021
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https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/4-202201OFCE.pdf
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https://www.securite-sociale.fr/files/live/sites/SSFR/files/medias/PLFSS/2013/ANNEXE_1/PLFSS-2013-ANNEXE_1-PQE-RETRAITE-DONNEES_DE_CADRAGE-INDICATEUR_21.pdf
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https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/pbrief/2021/OFCEpbrief98.pdf
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Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV)
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Conseil d’orientation des retraites, 2017a, Rapport du COR 2017 – Évolutions et perspectives des retraites en France, Rapport du 20 juin 2017.
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2024 Ageing Report. Economic and Budgetary Projections for the EU Member States (2022-2070)
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Frédéric Gannon & Gilles Le Garrec & Vincent Touzé, 2019. “VIII / L’Europe des retraites : des réformes sous la pression de populations vieillissantes,” Post-Print hal-02471429, HAL.
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Blanchet D., A. Bozio et S. Rabaté, 2016, « Quelles options pour réduire la dépendance à la croissance du système de retraite français ? », Revue économique, vol. 67, n° 4.