Auteurs : Thibault Briera, Rédha Chaba, François Ferraro, Timothée Garcenot, Pierre Rousseaux et Martin Varron
Analyse en partenariat avec les Journées de l’Economie
Mobilisé par les Journées de l’Economie, Oeconomicus s’est penché sur la complexe et incertaine question de la situation économique française pour l’année 2021. Bousculée par le protectionnisme américain de Donald Trump et les élections américaines, les tourments de l’accord nucléaire iranien, la crise économique et financière libanaise, les tensions commerciales sino-américaines, et l’échec des accords pétroliers à la veille d’une crise sanitaire mondiale, l’année 2020 a marqué un tournant dans la vision économique contemporaine. La pandémie mondiale a incité économistes, dirigeants politiques et citoyens à revoir leurs modèles économiques, leurs prévisions, leurs décisions politiques, allant même jusqu’à reporter ou abandonner les réformes annoncées au profit d’un sauvetage urgent de l’économie nationale et mondiale. L’année 2021 hérite là d’un contexte bien particulier, qui impactera durablement les prévisions, modes de pensée et décisions économiques.
Le plan de relance France Relance, tout d’abord, d’un montant de 100 milliards d’euros, comprend 70 mesures destinées à assurer la reprise économique après la pandémie, et à permettre une croissance de plus long terme. Il est constitué de trois volets, liés à l’écologie, à la compétitivité et à la cohésion. Il s’apparente davantage à une politique de l’offre qu’à une politique de la demande.
Après une année difficile pour l’investissement et l’emploi, la France aborde 2021 avec des finances publiques fragilisées. La baisse d’activité économique et les licenciements ont réduit les rentrées fiscales de l’Etat français de plus de 40 milliards d’euros,
et les mesures automatiques et additionnelles de soutien à l’emploi et aux entreprises ont creusé le déficit. Si les taux d’intérêt restent faibles, la tenue des finances publiques françaises se dégrade.
En raison des mesures de soutien massives à l’économie, les effets de la crise sanitaire sur l’emploi et le chômage peinent à se faire sentir. Pourtant, la hausse du chômage en 2021 semble inexorable et sera conditionnée au calendrier de retrait des dispositifs d’aide aux entreprises. Au-delà des conséquences à court terme du COVID sur l’emploi, la crise sanitaire pourrait laisser des traces durables, notamment pour la génération qui rentre aujourd’hui sur le marché du travail français.
Enfin, les menaces qui pèsent sur la stabilité du système bancaire et financier français et européen sont multiples en 2021. Plus que la dette publique, c’est la dette privée des sociétés non financières qui inquiète, avec le risque de faillites en cascades dans les secteurs les plus touchés par la crise sanitaire. Ces faillites mettraient en péril des banques, pourtant mieux armées qu’en 2008 pour faire face à un risque systémique. Des questionnements autour des risques climatiques agitent également les intermédiaires financiers et les banquiers centraux, qui s’interrogent sur la prise en compte de ces risques dans le cadre de leur mandat.
Nous allons, dans les pages qui suivent, développer nos quatre angles de réflexions que nous avons ici choisis (Plan de relance, Finances publiques, Emploi, Stabilité financière) afin de dresser un panorama de la situation économique française pour l’année 2021.
Le plan de relance
Le plan de relance annoncé le 3 septembre 2020, d’un montant de 100 milliards d’euros sur deux ans, vise, outre la reprise économique face à la crise provoquée par la pandémie de coronavirus, à préparer la France de 2030. Il s’agit d’une « feuille de route pour la refondation économique, sociale et écologique du pays ». Le plan de relance européen, intitulé Next Generation EU, d’un montant de 750 milliards d’euros, finance France Relance à hauteur de 40%, soit 40 milliards d’euros[1]. L’aide européenne est conditionnée : par exemple, un tiers du montant du plan de relance national doit être investi dans des politiques environnementales, notamment pour respecter l’objectif de neutralité carbone fixé par l’UE pour 2050.
Les objectifs du gouvernement sont de retrouver en 2022 le niveau de croissance économique d’avant crise et de faire diminuer le chômage. Alors qu’entre fin mars et fin juin 2020, il y a eu 215 200 suppressions d’emplois[2], le premier ministre annonçait dans un entretien au Figaro que le plan de relance avait pour objectif la création de 160 000 emplois pour 2021[3]. Le plan de relance est structuré par trois grands axes : la compétitivité économique, la transition écologique et la cohésion sociale et territoriale.
La compétitivité économique
Les mesures visant à soutenir la compétitivité économique représentent un montant total de 34 milliards d’euros et comprennent l’instauration d’une baisse pérenne de 10 milliards d’euros des impôts de production, ce qui représente 20 milliards sur les deux ans du plan de relance[4]. Ces impôts sont jugés « déconnectés de la performance des entreprises, […] trop élevés en France ». Cette baisse d’impôts va bénéficier à 42% aux entreprises de taille intermédiaire (ETI), à 32% aux PME et à 26% aux grandes entreprises.
En outre, trois milliards d’euros seront dédiés, par le biais d’une garantie publique associée aux prêts participatifs accordés par les banques par exemple, au soutien des fonds propres des entreprises. Le gouvernement espère ainsi créer un effet de levier et mobiliser le secteur bancaire entre 10 et 15 milliards d’euros. On parle d’effet de levier lorsqu’une entreprise entreprend un projet d’investissement, qu’elle emprunte pour financer cet investissement, et que le résultat d’exploitation dégagée par la nouvelle activité soit supérieur aux charges financières induites par l’endettement. Ainsi, une augmentation relative des dettes se traduit par une augmentation du taux de rentabilité financière des associés[5]. Notamment, ces mesures consistent à mettre en place un dispositif pour favoriser l’octroi de prêts participatifs aux TPE et PME n’ayant pas accès aux marchés de capitaux.
L’Etat souhaite également soutenir l’investissement industriel dans les territoires. Il subventionnera à hauteur d’1 milliard d’euros le développement industriel sur les territoires. 400 millions seront dédiés aux 148 Territoires d’industrie existants et 600 millions à un appel à projet sur la relocalisation de productions en France. Les Territoires d’industrie sont une stratégie nationale de développement de l’emploi industriel dans les espaces périurbains, ruraux, et dans les villes moyennes5.
Dans le cadre du prochain Programme d’investissements d’avenir (PIA) ,11 milliards d’euros permettront de financer des investissements sur des filières ou des technologies émergentes ainsi que la recherche et l’enseignement supérieur. Enfin, 385 millions d’euros permettront d’accompagner la numérisation des TPE, PME et ETI, afin d’améliorer la compétitivité numérique française.
La transition écologique
30 milliards seront affectés à la transition écologique. En particulier, le plan de relance, dans le cadre de la partie environnementale, vise la rénovation thermique, les transports, l’énergie et la décarbonation de l’industrie[6]. Ils correspondent à l’objectif, fixé par le plan de relance européen, de consacrer 30 % des fonds à la lutte contre le réchauffement climatique. 11 milliards d’euros seront investis dans les transports. Parmi eux, 4,7 milliards d’euros consacrés aux « infrastructures et mobilités vertes » iront au fret ferroviaire, aux trains de nuit et petites lignes. 6,7 milliards d’euros sont mobilisés pour la rénovation énergétique des bâtiments. S’il a été annoncé un objectif d’investir 7 milliards d’euros dans la filière hydrogène d’ici à 2030, 2 milliards seront investis dans le cadre du plan de relance. 1,2 milliard d’euros est prévu pour favoriser les mobilités du quotidien. 500 millions d’euros seront encore consacrés à la promotion de l’économie circulaire et des circuits courts, par le biais de la valorisation des déchets et de l’investissement dans le recyclage.
Cohésion sociale et territoriale
Enfin, le troisième ensemble de mesures concerne la cohésion sociale et territoriale, à laquelle est alloué un montant de 36 milliards d’euros. 7,6 milliards d’euros seront consacrés au financement du dispositif d’activité partielle de longue durée (APLD). 6,7 milliards seront dédiés aux primes à l’embauche, au service civique et à la formation sur les métiers d’avenir en destination des jeunes.
9,5 milliards d’euros visent à la cohésion territoriale. 5,2 milliards d’euros permettront de soutenir les collectivités territoriales, par le biais de garanties de recettes ou de soutien direct à l’investissement local. 500 millions viseront à résorber la fracture numérique, 250 millions au développement local. En particulier, des géographes préconisent l’investissement dans les services, vecteurs de développement local6. 3 milliards d’euros permettront de financer un plan de relance de la Banque des territoires, qui prévoit de créer 100 foncières de redynamisation territoriale, pour la restructuration de 6 000 commerces d’ici 2025. La Banque des territoires est en outre à l’origine du programme Action Cœur de Ville, qui lutte contre la dévitalisation des centres des villes moyennes, ou du programme Petites Villes de Demain. Enfin, le secteur médico-social sera doté d’investissements d’un montant de 6 milliards d’euros, conformément au montant annoncé lors du Ségur de la Santé.
Finances publiques
La France aborde l’année 2021 dans des conditions économiques difficiles et des finances publiques fortement dégradées au niveau de ses indicateurs principaux. L’évolution préoccupante des finances publiques confirme la plupart des estimations réalisées par la Banque de France depuis septembre 2020. L’incertitude liée à la crise sanitaire rend toutefois difficile tout exercice de prévision.
Déficit public, déficit primaire
La France a abordé le début de la crise économique due à la crise sanitaire avec des finances publiques très dégradées et une dette publique approchant les 100% du PIB. Si les prévisions de la LOLF de 2018 prévoyaient une baisse de la dette à l’horizon 2022, l’augmentation des dépenses publiques étant plus rapide que celle des recettes durant les premières années du quinquennat d’Emmanuel Macron, le déficit public reste aux alentours de 3% en 2019, avec un solde primaire de -2,2%[7].
La crise sanitaire provoque une baisse importante des recettes. Le déficit public de 2020 est dû aux trois quarts à la chute de l’activité, et à un quart au plan de relance (cf. partie « Plan de relance »). Les chocs d’offre et de demande, dus à la politique sanitaire stricte, réduisent l’activité économique et la possibilité d’imposition de la puissance publique ; les aides publiques permettent d’amortir les chocs, de limiter les destructions d’emplois et les chutes de revenu, au prix d’un creusement du déficit à -11% environ[8].
Cette situation porte la part des dépenses des administrations publiques dans le PIB à un pic historique de 63,6% en 2020, après une stagnation aux alentours de 53% à 55%[9].
Dette publique et taux d’intérêt
Le stock de dette augmente en conséquence du creusement du déficit. Elle atteint à la fin de l’année 2020 environ 118% du PIB.
La trajectoire ascendante est toutefois ralentie par des conditions d’endettement paradoxalement favorables. La « dette Covid » (dette contractée en 2020 afin de pallier le manque de recettes dû au Covid) a été contractée à des taux faibles (32% de l’endettement), ou négatifs (68%). La situation relativement saine des finances publiques allemandes a permis au voisin teuton de contracter plus de 90% de sa dette à taux négatif[10].
La majeure partie des émissions de dette publique a été achetée par l’Eurosystème. Le programme d’achat PEPP (Pandemic Emergency Purchase Programme) de la BCE, disposant d’une enveloppe supérieure à 1,5 billion d’euros, a également permis d’absorber de la dette privée, dans le cadre du rôle de supervision des marchés dont dispose la BCE.
La France est le deuxième pays de la zone euro en termes de variation positive du ratio dette publique/PIB entre le T1 et le T2 2020 (+12 points de pourcentage, contre 11 en Italie et 6 en Allemagne)[11].
Prévisions d’équilibre
Les scenarii gouvernementaux, les plus optimistes, prévoient une stabilisation de la dette publique à 117% du PIB jusqu’en 2025, avec une décrue du déficit de -10% à -2,9% sur la même période. Les projections macroéconomiques de la Banque de France se montrent toutefois sceptiques : le plan France Relance verra son enveloppe écoulée majoritairement en 2021 (où il pèsera 7% du PIB) et en 2023 (4%). Cette montée en charge du plan continuera de peser sur les finances publiques et maintiendra le niveau des dépenses publiques à plus de 55% du PIB sur le moyen terme[12].
Emploi
La rupture de la dynamique du chômage en 2020
L’année 2020 marque une rupture dans la tendance à la baisse esquissée par les chiffres du chômage depuis 2015. Le chômage en France (au sens du BIT) atteint un point bas début 2020. La conjonction d’un point haut du cycle des affaires, d’un environnement macroéconomique international favorable et de politiques actives du marché du travail avaient permis de retrouver des taux de chômage proches de ceux d’avant 2008. Les confinements successifs et les mesures gouvernementales à destination des employeurs ont gelé le marché du travail, limitant dans un premier temps les destructions d’emplois. Sur le plan du chômage et de l’emploi, 2021 s’ouvre donc sur de nombreuses incertitudes.
Le retour de l’emploi en 2021 différé selon les scénarios de reprise de l’activité
En France, le pic du taux de chômage devrait être atteint au premier trimestre 2021. Ce point haut s’explique par les destructions d’emploi de 2020, environ 800 000, ainsi que par le retour dans les chiffres du chômage d’individus appartenant au halo du chômage. En effet, les taux de chômage étaient restés artificiellement bas au premier semestre 2020 en raison d’un grand nombre de personnes sans emploi ayant interrompu leurs recherches. Ces individus n’étaient donc pas comptabilisés dans les chiffres du chômage[13]. Il en va de même pour les personnes en formation, dont les effectifs ont fortement augmenté en 2020 par rapport à 2019 (+12%) selon la DARES[14].
Les évolutions de l’emploi en 2021 sont conditionnées à la forme et au calendrierde la reprise d’activité. La Banque de France a établi des prévisions pour le taux de chômage en 2021 autour de trois scénarios de reprise : « favorable », « central » et « sévère »[15]. Notons que ces scénarios reposent sur l’hypothèse d’un retour de la population active proche de son niveau d’avant crise après de nombreuses sorties de chômeurs vers l’inactivité en 2020.
Construit mi-décembre, le scénario favorable qui postule une reprise en « W » basée sur une amélioration rapide de la situation sanitaire au niveau mondial semble de moins en plausible.
Dans le scénario sévère, le virus continue de circuler activement en France et dans le monde en 2021, nécessitant l’application de nouvelles mesures sanitaires contraignantes. Aucun rebond de l’activité n’est enregistré en raison des périodes répétées de confinement qui pèsent sur les dépenses des ménages et les défaillances d’entreprises. Ce scénario pour lequel le taux de chômage avoisine les 12% n’est aujourd’hui pas à exclure.
Les évolutions du chômage et de l’emploi conditionnées au maintien des aides gouvernementales
Les variations de l’emploi en 2021 dépendent largement du maintien des dispositifs de soutien à l’économie en 2020. Ces mesures prennent deux grandes directions : l’aide aux entreprises afin de limiter les défaillances et le soutien du revenu des ménages via un recours massif à l’activité partielle. Nous présentons ici deux des dispositifs principaux mis en place en 2020 et maintenus en 2021.
Le dispositif d’activité partielle en 2021 Début janvier 2021, le dispositif d’activité partielle qui garantit une indemnité représentant 84% du salaire net évolue, en tenant compte de l’hétérogénéité des secteurs face à la crise sanitaire. Il est garanti jusqu’au mois de mars pour les secteurs « protégés » comme le tourisme, la culture ou le sport et jusqu’à juin 2021 pour les entreprises fermées administrativement. A partir du 1er février, l’indemnité sera réduite dans tous les autres secteurs. Le dispositif risque fortement d’être prolongé si des mesures restrictives devaient être prises courant 2021, afin de soutenir les revenus des ménages et d’éviter des destructions d’emploi. Le Prêt Garanti par l’Etat en 2021 Du côté des employeurs, le Prêt Garanti par l’Etat (PGE) s’adresse aux entreprises ayant des difficultés de trésorerie. Le PGE s’appliquera au moins jusqu’à juin 2021 et peut représenter jusqu’à 3 mois de chiffre d’affaires. Les taux très bas (entre 0,25% à 0,5%) et l’absence de remboursement la première année doivent garantir la solvabilité à court et moyen terme des entreprises bénéficiaires. |
Le coût important de ces dispositifs doit être mis en regard avec les taux d’intérêt sur la dette souveraine qui restent très faibles (cf. « Finances Publiques »). Si leur efficacité devrait être évaluée ex post, les mesures de soutien à l’économie engagées par tous les gouvernements européens entretiennent déjà des perceptions de risque de défaillance sur les marchés financiers plutôt faibles pour 2021[17].
Ces dispositifs de soutien soulèvent toutefois la question du risque de « zombification » des firmes françaises, c’est-à-dire d’entreprises peu productives qui ne survivent que par un endettement croissant (voir par exemple[18] [19]). L’arbitrage entre réallocation schumpétérienne des facteurs de production et lutte à court terme contre les défaillances s’opère pour l’instant en faveur du maintien de l’emploi.
Les effets à long terme du COVID sur le chômage et l’emploi
Les évolutions sur le marché du travail en 2021 en réaction à la crise du COVID devraient avoir un impact à plus long terme sur le chômage et l’emploi. Les défaillances d’entreprises et les destructions d’emplois pourraient avoir un effet à long terme sur la productivité, via des pertes de compétences et de savoirs (le « capital humain »). On craint alors un effet d’hystérèse du chômage qui perdure après 2021[20].
Cet effet serait amplifié pour les jeunes. Pour la cohorte entrée sur le marché du travail autour de 2020-2021, les difficultés rencontrées lors de leur insertion professionnelle se répercuteraient sur l’ensemble de leur carrière: salaires plus faibles, perspectives de carrières inférieures aux autres cohortes (voir [21] pour une revue de littérature succincte sur le sujet). Parmi les 18-24 ans en emploi avant le premier confinement en 2020, 25% étaient concernés par un dispositif de chômage technique ou partiel complet, contre 15,5% pour l’ensemble de la population[22]. Les jeunes font donc partie des populations les plus susceptibles de basculer de l’activité partielle vers le chômage en 2021, avec le risque de créer une « génération perdue ».
Il faut également prendre en compte l’impact hétérogène du virus selon les secteurs. Concernés par un nombre important de faillites d’entreprises, certains secteurs verraient le fonctionnement de leurs marchés du travail durablement perturbé[23]. La question de la réallocation des travailleurs issus des secteurs sinistrés sera cruciale en 2021.
Enfin, il sera nécessaire de scruter les effets du télétravail et de sa généralisation, tant sur la productivité que sur les conditions de travail et plus largement l’organisation du travail. L’adaptation des entreprises au télétravail représente un défi pour les entreprises. Les études récentes sur le télétravail montrent que la concertation entre managers et salariés ainsi que la préparation et l’organisation de la transition vers le télétravail sont cruciales pour que celle-ci s’accompagne de gains de productivité[24].
Stabilité financière
Potentialité de chocs liés à l’endettement
En 2020, le secteur bancaire européen a mieux absorbé le choc économique dû à la crise sanitaire, et ce grâce à des fondations plus solides qu’en 2008 apportées par les réformes impulsées par les accords de Bâle III[25]. Aux directives microprudentielles portant sur les risques individuels se sont ajoutés des piliers macroprudentiels portant notamment sur l’exigence de fonds propres et le caractère systémique des établissements financiers.
Bien que les discussions entre économistes sur le sujet de la dette publique ont rythmé le second semestre de l’année 2020, avec en point d’orgue un débat sur sa soutenabilité au Sénat, cette dette ne constitue pas une menace imminente à la stabilité financière. En effet, le Banque Centrale Européenne a permis aux Etats de l’Union Européenne de financer leurs dépenses publiques à bas coût, poussant les taux d’obligations souveraines en territoire négatif pour la France à échéance 10 ans.
L’endettement privé, quant à lui, semble catalyser les inquiétudes, avec des secteurs ayant été plus ou moins lourdement impactés par la crise sanitaire. Le gouvernement a soutenu l’économie dans son ensemble, et ce, sans distinction vis-à-vis de l’hétérogénéité des situations. 2020 a été l’année du sauvetage, 2021 pose la question des faillites et de sa gestion par les banques. Ces dernières seront amenées à discriminer entre les entreprises à potentiel et celles vouées à l’échec. Or, l’ensemble des sociétés non financières ont recouru excessivement aux emprunts, et les défauts de paiement potentiels devront être épongés par les intermédiaires financiers. Ici réside la source d’inquiétude principale pour la stabilité financière française. Les facilités de paiement ainsi qu’une gestion adéquate des entreprises en difficulté (restructuration de dette, suivi des risques pesant sur les différents secteurs, … ) seront cruciaux afin d’éviter une charge trop importante à assumer pour les intermédiaires financiers.
Stabilité sur les marchés d’action et risques de contagion
En France, le marché action, dont le CAC40 est l’étendard, a pu se maintenir à des niveaux assez élevés grâce aux politiques de financement accommodantes menées par la BCE. Cependant, la remontée des taux sur le marché obligataire, due aux différents plans de relance et à des anticipations d’inflation plus importantes en 2021 qu’en 2020, laisse craindre un phénomène de contagion pouvant toucher le marché boursier. La BCE reste attentive à une augmentation trop inquiétante de ces taux. Mais si ces taux continuaient de remonter et que la contagion aux marchés boursiers ne s’estompait pas, les dommages et pertes subis par ces derniers pourraient avoir des conséquences négatives importantes sur le secteur bancaire et financier, et ainsi sur la stabilité financière. La question des liens entre politique monétaire et inflation du prix des actifs n’est pas nouvelle[26] et reste d’actualité en 2021 à la faveur de la crise sanitaire. L’autre source d’inquiétude se situe donc ici, et bien que cette dernière soit européenne, la France ne serait pas épargnée par les pertes de rentabilité et épisodes de volatilité sur les marchés. En 2008, c’est bien la contagion au secteur bancaire et financier qui a causé la crise, et non la crise immobilière sous-jacente. La stabilité financière dépendra donc de la gestion des dettes, souveraines ou privées, mais aussi des répercussions de cette dernière sur les marchés boursiers. La Banque de France met ainsi en garde: « De la même façon, les taux sur la dette des États souverains se situent à des niveaux historiquement très faibles. Cette dynamique a permis d’effacer les pertes subies en première partie d’année sur les marchés actions pour revenir récemment sur des niveaux de valorisation dépassant même, pour certains indices notamment américains, les records antérieurs. Ces évolutions peuvent paraître en contradiction avec les niveaux actuels d’activité économique et constituer une source de vulnérabilité – se matérialisant par une dépréciation brutale des actifs, en cas de nouveau choc adverse »[27].
Les risques structurels et systémiques : vers un système financier « vert » ?
Un dernier point d’incertitude, pour 2021 mais plus globalement pour les prochaines décennies concerne la montée en puissance de la préoccupation des risques que font peser le changement climatique sur le système financier.
Le changement climatique peut remettre en cause la stabilité financière par trois voies principales. Les risques climatiques physique portent directement sur les moyens de production : il s’agit par exemple d’évènements climatiques extrêmes comme les séismes ou les inondations qui détruisent routes, usines et habitations. Les risques de transition englobent toutes les conséquences financières liées à la transition bas carbone, nécessaire pour réduire l’ampleur du changement climatique. La transition pourrait conduire à la dévaluation brutale de certains actifs, qualifiés alors « d’échoués ». On en sait encore très peu des risques que font peser les industries déclinantes sur les systèmes bancaires et financiers[28]. Enfin, on peut distinguer les risques de contentieux qui correspondent aux conséquences financières résultant d’éventuelles poursuites en justice à la recherche des responsabilités (privées et étatiques) en matière de changement climatique.
A ce titre, depuis 2017, des banquiers centraux et régulateurs se sont regroupés au sein du Network for Greening the Financial System afin d’améliorer la gestion de ce type de risques. La prise en compte des risques climatiques implique un « changement de logiciel »[29] de la part des banquiers centraux. Les évènements climatiques extrêmes, mais aussi la corrélation entre environnement et pandémie obligent les banques centrales à s’adapter afin d’absorber des chocs de ce type. La Covid-19 marquera sans aucun doute le début d’une nouvelle ère, où le risque climatique et pandémique est une réalité visible, inquiétante et dangereuse pour la stabilité financière. Ce type de risque répond à la logique du « cygne noir », un évènement imprévisible et de très grande ampleur. L’incertitude radicale pesant sur les économies au travers du changement climatique est nouvelle, et changera potentiellement les objectifs de stabilité financière, et plus généralement les liens envisagés entre économie, finance et nature.
Sources :
[1] Commission européenne. Présentation du plan de relance européen, 27 mai 2020
[2] INSEE. Statistiques et études sur l’emploi du 8 septembre (2020)
[3] Les Echos “Plan de relance, ce qu’il faut retenir”, Valérie Mazuir, 3 septembre (2020)
[4] Fiche des mesures du plan de relance, Direction générale des Entreprises (2020)
[5] ANCT. Fiche de présentation des Territoires d’industrie, 29 avril (2020)
[6] Bardet, Ninon, et Jean-Yves Pineau. « Vers une approche renouvelée des services en milieu rural », Pour, vol. 208, no. 1, 2011, pp. 95-111.
[7] Cour des Comptes, Rapport public annuel 2020 – février 2020 (https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-02/20200225-01-TomeI-situation-ensemble-finances-publiques_0.pdf)
[8] Troisième loi de finances rectificative pour 2020
[9] OFCE, L’économie française 2021, La Découverte, 2020
[10] OCDE, Sovereign Borrowing Outlook for OECD Countries 2020 SPECIAL COVID-19 EDITION, 2020 (https://www.oecd.org/finance/Sovereign-Borrowing-Outlook-in-OECD-Countries-2020.pdf)
[11] Eurostat, 22 octobre 2020, 157/2020 (https://ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/11442894/2-22102020-BP-FR.pdf/126a6d79-652c-5a20-8429-3a3474dd00ea)
[12] Banque de France, Projections macroéconomiques – Décembre 2020, décembre 2020 (https://publications.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/projections-macroeconomiques_2020-12_vf.pdf)
[13] INSEE. Note de conjoncture du 15 décembre. (2020).
[14] DARES. Situation sur le marché du travail durant la crise sanitaire – 5 janvier 2021 (2021)
[15] Banque de France. Projections macroéconomiques France. (2020).
[16] Banque de France. Projections macroéconomiques – Décembre 2020. (2020).
[17] Banerjee, R. N., Cornelli, G. & Zakrajšek, E. The outlook for business bankruptcies. BIS Bull. 30, 1–7 (2020)
[18] Jordà, Ò., Kornejew, M., Schularick, M. & Taylor, A. M. Zombies at Large? Corporate Debt Overhang and the Macroeconomy. Fed. Reserv. Bank San Fr. Work. Pap. Ser. (2020)
[19] Bénassy-Quéré, A. “2021, l’année des zombis?”. Blog de la Direction Générale du Trésor. (2021)
[20] Blanchard, O. J. and Summers. L. H. “Hysteresis and the European Unemployment Problem,” NBER Macroeconomics Annual, Stanley Fischer, ed. Vol 1, (1986)
[21] Conseil National de la Productivité. Les effets de la crise Covid-19 sur la productivité et la compétitivité. (2021).
[22] Bajos, N. et al. Les inégalités sociales au temps du COVID-19. Questions de santé publique, IRESP. n° 40. (2020).
[23] Heyer, É. Défaillances d’entreprises et destructions d’emplois. Rev. l’OFCE 168, 163 (2020).
[24] Bergeaud, A. et Cette, G. “Télétravail: quels effets sur la productivité?”. Bloc-note Eco de la Banque de France. (2021)
[25] Couppey-Soubeyran, J. Perego, E & Tripier, F. “Les banques européennes à l’épreuve de la crise du Covid-19”, CEPII Policy Brief 2020- 32 , (2020)
[26] Banque de France, “Évaluation des risques du système financier français – Décembre 2020”, (2020).
[27] Y. Mersch, “Asset price inflation and monetary policy”, ECB Executive Board Keynote speech, (2020).
[28] Semieniuk, G, Campiglio, E, Mercure, J‐F, Volz, U, Edwards, NR. “Low‐carbon transition risks for finance”. WIREs Clim Change. (2021).
[29] Bolton, P. et al. “Le « Cygne Vert » : les banques centrales à l’ère des risques climatiques.” (2020).