Avant-propos
Avec des investissements peu liquides, onéreux et indivisibles, le secteur immobilier se caractérise par une forte inertie inhérente liée aux caractéristiques de ses actifs. Bien moins volatiles que les actions et les obligations, les fluctuations sont assez lentes et progressives, ce qui explique des cycles économiques assez espacés dans le temps. Toutefois, puisque l’immobilier pèse aujourd’hui pour plus de 12,8%2 du PIB français, la période de récession actuelle tend à accroître les inégalités de façon très marquée au sein de la population.
Mécanismes macro et microéconomiques à l’œuvre
En raison du contexte inflationniste important dans l’UE lié notamment à la guerre en Ukraine, la Banque Centrale Européenne (BCE) a haussé les taux d’intérêt de 4,25 points depuis juillet 2022, portant le taux d’usure3 moyen à environ 5,28% pour le crédit immobilier. En parallèle, les banques ont entre autres durci les conditions d’octroi du prêt, avec un apport personnel situé entre 10% et 25%.
Ces deux effets mènent aujourd’hui à la diminution de la capacité d’investissement moyenne des ménages. Selon l’observatoire Crédit Logement CSA, l’octroi de nouveaux crédits immobiliers a chuté de 50,5% sur un an. Deux cas de figure se posent en conséquence. D’une part, certains ménages — essentiellement les primo-accédants — se retrouvent dans l’incapacité de financer leur projet (désistement par défaut). D’autre part, certains ménages ne souhaitent pas considérer leur investissement au rabais et préfèrent ainsi renoncer temporairement à leur projet (posture d’attentisme). Cette posture est également celle adoptée par les investisseurs privés et institutionnels en raison de rendements locatifs peu élevés associés à un risque généralement important.
En compensation et pour rééquilibrer la demande, les prix du marché immobilier dans les milieux urbains denses sont amenés à diminuer. Il s’agit d’une bonne nouvelle, puisque cette baisse permet de corriger l’écart valeur transactionnelle / valeur réelle (les prix en France étant surestimés en moyenne de 10% à 15%)4. Déjà entamée5, cette transition vers un équilibre relatif est toutefois plus lente que prévue. En cause probable, l’attentisme du côté des vendeurs, qui ne souhaitent pas faire de cession au rabais.
Un retard sur le développement national adjoint à une précarisation des ménages
Par ailleurs, cette situation aggrave la crise du logement, puisque la décroissance de production de logements neufs en France liée au retrait des acheteurs (investisseurs, privés et institutionnels) augmente la difficulté à se loger. Aussi, la part des primo-accédants en France continue de diminuer (-7 points depuis 2019), ce qui accentue la paupérisation des ménages à faibles et moyens revenus et participe ainsi à la croissance des inégalités. L’indice de solvabilité6 des primo-accédants va en ce sens, avec un retrait de -4,3 points en un an7.
Le corollaire de cette récession est le report conséquent des potentiels acquéreurs sur le marché locatif, généré par la baisse des transactions anticipées (-17% sur l’année)8. Certains ménages (jeunes travailleurs et étudiants notamment) ont bien plus de mal à se loger. En effet, les 18-34 ans font partie des catégories les plus touchées, avec 40% de dossiers rejetés auprès des banques sur l’année. En conclusion : le marché se tend et les difficultés se cristallisent.
Enfin, la crise immobilière fait également prendre un retard important sur la transition énergétique. En effet, la rénovation du parc vieillissant et le manque de production de logement9 ne permettent pas de respecter les engagements décennaux pris par le gouvernement. De plus, l’évolution des réglementations (e.g., interdiction de location pour les passoires thermiques, taxes sur la vacance, encadrement des loyers) risque de peser davantage sur les ménages les plus fragiles.
Des opportunités de relance à saisir
La capitale mise à part, il faut espérer en fin de cycle une baisse effective totale de 25% des prix du logement. Une telle baisse permettrait au marché immobilier de se rapprocher d’un Tunnel de Friggit, situation qui serait inédite depuis 2002. Caractérisé dans les années 2000 par l’économiste éponyme, ce modèle défend l’idée que l’inflation des loyers est corrélée à la croissance des revenus des ménages selon une marge d’oscillation de│10-20%│sur le long terme. En clair, ce modèle donne à l’inflation des loyers et à l’indice des prix de l’immobilier une fluctuation purement liée aux revenus des ménages10. Se rapprocher d’une marge oscillatoire similaire signifierait d’une part la fin de la bulle spéculative immobilière, mais également un retour vers une logique d’accessibilité pour les ménages.
La mise en place de mesures d’intervention visant à produire davantage de logements neufs et des mesures d’accompagnement pour les ménages fragiles sera également nécessaire afin de limiter les externalités négatives engendrées par la crise. Des leviers d’action tels que la mise en place de nouveaux dispositifs fiscaux visant l’aide à la production de logements neufs ; la garantie d’un prêt à taux zéro (PTZ) plus large pour permettre l’accès au crédit pour les ménages aux revenus modestes ou la mise en place de montages innovants tel que le bail réel solidaire (BRS)11 pour limiter la spéculation et encourager la primo-accession, doivent être évalués au regard du contexte actuel afin de maintenir un taux d’accès à la propriété élevé.
Des opportunités de relance à saisir
En opposition, un scénario prospectif postulant l’absence de considération politique et l’aggravement de la crise actuelle pourrait bien avoir comme effet la fragmentation économique des ménages français. Au regard de l’impact lié à la fiscalité (impôts sur les revenus ; baisse des aides sociales ; augmentation des taxes foncières ; réforme des retraites etc.) et de la hausse du coût de la vie due à l’inflation, la situation économique risquerait de faire décrocher les ménages situés en bas de la distribution. Comme le soulignait l’ancien ministre du logement Olivier Klein, la pression exercée par ces phénomènes à la fois conjecturels et structurels — en particulier chez les jeunes, les seniors, et les actifs aux revenus modestes — pourrait bien faire éclater une véritable « bombe sociale ». Aussi, en cette période de crise, la France se doit d’être rationnelle et innovante pour relancer un marché de l’immobilier au bord de la bascule.