« L’économie indienne pourra-elle se relever de la crise économique liée à la pandémie de covid-19 ? »
L’Inde, avec ses différents plans de soutien, veut relancer son économie impactée par les mesures de confinement mises en place pour lutter contre l’épidémie. Cependant, la spécificité de son économie liée à la part informelle risque de mettre à mal cet ambitieux plan.
Un plan de soutien exceptionnelle, une première dans l’histoire indienne
La pandémie de COVID-19 n’a épargné aucune nation, et le pays de Vishnu ne déroge pas à la règle. En effet, l’Inde a connu une croissance exponentielle de l’épidémie lors de la deuxième vague, avec des records de contaminations (plus 400 000 cas quotidiens déclarés lors des pics épidémiques). Selon une étude du Center for Global Development publiée le 20 juillet 2021, la réalité serait dix fois supérieure au bilan officiel de 463 245 décès à la date du 14 novembre 2021.
Lors de la première vague, le gouvernement de Modi a décidé de mettre en place un confinement strict au niveau national, ce qui a mené à un déplacement de population massif.
Le poumon économique de l’Inde est le Maharashtra. Cette région est la plus riche du pays et abrite Mumbai, la capitale économique. Cette dernière attire de nombreux travailleurs pauvres venant des quatre coins de l’Inde. Du fait de la sécheresse qui touche leurs villages et du manque d’emplois, ces habitants n’ont guère d’autres choix que l’exode rural afin de subvenir aux besoins de leurs proches restés au village.
Ces différentes mesures ont particulièrement affecté les migrants pauvres originaires des campagnes, qui ont perdu leurs emplois et quitté les grandes villes pour se réfugier dans leurs villages d’origine.
Ces populations qui vivaient au jour le jour ont connu de nombreuses famines. Selon une étude de l’université Azim Premji de Bangalore, les mesures de confinement ont fait plonger plus de 230 millions de personnes sous le seuil de pauvreté, soit moins de 375 roupies par jour (5,06 dollars).
En effet, lors de la deuxième vague, les gouvernements locaux ont décidé localement de mettre en place des confinements afin d’atténuer la courbe de contaminations. Le gouvernement central a pris la décision de ne pas confiner totalement le pays afin de ne pas casser la reprise économique.
Ces catastrophes humaines ont montré la défaillance de l’État indien en matière de politiques de santé et de solidarités. En effet, d’après une étude de l’Asian Development Bank (ADB), l’Inde consacrait 1.7% de son PIB en 2009 (ADB 2013) aux politiques de solidarités.
L’Inde, qui est l’une des plus grandes puissances de la région et du monde, a des dépenses en termes de solidarités en dessous de la moyenne des pays asiatiques (3.4% du PIB). En 2015, les dépenses de l’État indien ont même chuté autour de 1.3%, alors que, par exemple, le Vietnam y consacrait 2% de son PIB, le Sri Lanka 5.6%, et la Chine 5.7%. (ILO 2017).
En février dernier, le Premier ministre vantait auprès de ses homologues le “miracle indien” en matière de gestion de l’épidémie. Certains observateurs prédisaient même un rebond de la croissance à 12.8% (estimation de Bloomberg Economics). Cependant, la réalité a pris le dessus avec l’arrivée d’une deuxième vague qui a frappé durement tout le pays.
Face à l’ampleur de la catastrophe, le gouvernement a décidé d’adopter des plans de soutien afin de soutenir l’économie. Suite à la première vague, un plan de relance historique de 288 milliards de dollars a été approuvé. Ce plan est censé soutenir tous les secteurs de l’économie, en passant par des aides alimentaires directes aux plus vulnérables et des soutiens aux TPE/PME.
Des compensations ainsi que des aides aux plus démunis ont été débloquées. On peut noter : 6000 roupies par an (81 dollars) dédiés aux agriculteurs et une ration de 5 kg de blé et de riz supplémentaires délivrés aux personnes les plus démunies. Par ailleurs, plus de 83 millions de familles vivant en dessous du seuil de pauvreté ont reçu des bouteilles de GPL. Enfin, une aide de 5 millions de roupies (67 000 dollars) a été consacrée pour la création d’une couverture maladie pour les soignants.
En termes de mesures de relance économique, il y a eu un réel engagement envers les TPE/PME, avec 39 milliards de dollars consacrés aux prêts sans garantie, et une injection de 6.5 milliards de dollars dans les petites et moyennes entreprises qui ont un potentiel de croissance.
Une subvention directe en R&D de 900 Rs crore (121 millions de dollars) a été réservée au secteur de la biotechnologie pour le développement de vaccins contre le COVID-19. On peut voir que ces financements ont permis à des entreprises telles que Bharat Biotech de lancer le Covashield, un dérivé du vaccin AstraZeneca, ou même au Serum Institute of India de lancer de nouvelles lignes de production de vaccins.
Afin de redynamiser l’économie mise à mal par cette deuxième vague, le cabinet de Modi a accordé fin juin 2021 une nouvelle rallonge. Ces financements ont permis aux PME/TPE d’obtenir des crédits supplémentaires soit 1.5 lakh crore (20 milliards de dollars), davantage de fonds pour le secteur de la santé, des prêts aux agences de tourisme, ainsi que l’exonération des frais de visa pour les touristes étrangers.
En outre, parmi les dépenses annoncées précédemment, 93,869 crore (12,6 millions de dollars) seront consacrés à l’achat de céréales pour les personnes vivant sous le seuil de pauvreté.
Le plan de relance est principalement composé d’une garantie gouvernementale aux banques et aux institutions de microfinance pour les prêts qu’ils accordent aux secteurs touchés par la COVID-19. Ce plan totalise un montant total de 6,29 lakh crore soit environ 84 milliards dollars.
Un modèle économique à reformer
Dans ce cadre de crise, l’État indien a choisi une politique budgétaire visant à relancer son économie, inspiré par le modèle initié lors de la crise des années 1930 par l’économiste américain John Maynard Keynes.
Par le biais d’une hausse de la dépense publique, l’État entend augmenter le pouvoir d’achat des individus et ainsi doper la consommation domestique ce qui, par effet multiplicateur, fera augmenter la consommation et par la suite augmenter la production des entreprises. Cette stimulation doit ainsi permettre de créer des emplois et de relancer la croissance économique.
En outre, l’Inde a un endettement d’environ 90% de son PIB en 2020. D’après les prévisions du FMI, cet endettement devrait connaître une baisse d’environ 3 points en 2021. Le sous-continent espère combler une partie de son déficit grâce à la privatisation de ses fleurons tels que la compagnie aérienne Air India, Bharat Petroleum Corp, Shipping Corp. of India, IDBI Bank Ltd, ainsi que deux autres banques pour un montant de 24 milliards de dollars.
Cependant, il est difficile pour Delhi de rendre efficaces ces plans de soutien, faute de statistiques précises. De même, la part importante de l’économie informelle (90% de cette dernière) rend difficile le fait de quantifier les effets des différentes aides et de cibler les politiques publiques.
Ces dernières années, l’Inde a énormément travaillé sur la simplification des procédures administratives, notamment pour attirer des investissements étrangers à travers l’initiative « Make in India » lancée par le gouvernement indien. En 2020, l’Inde se classait 63e sur 190 pays dans le rapport Doing Business 2020 publié par la Banque mondiale, une amélioration significative par rapport à l’année précédente, lorsqu’elle se classait 77e. À ce titre, l’Inde a rejoint la liste des 10 économies les plus améliorées pour la troisième année consécutive.
Lors du salon de la Vivatech (rendez-vous annuel consacré à l’innovation technologique et aux startups créé en 2016) qui s’est tenu au mois de juin, Narendra Modi vantait les prouesses de son pays en termes de high-tech. L’Inde dispose, en effet, de l’un des plus grands viviers d’ingénieurs au monde. De même, ces dernières années de nombreuses start-ups y ont émergé, dont plusieurs licornes (sociétés valant plus d’un milliard de dollars).
L’Inde a fêté cette année les 30 ans de la libéralisation de son économie. Ces dernières années, le pays a progressé dans les classements et fait partie des plus grandes puissances économiques et industrielles au monde. Le gouvernement de Modi a décidé de poursuivre cette libéralisation en lançant de grandes réformes législatives ces dernières années. Le pays doit continuer à travailler sur la réduction des barrières statutaires et des formalités administratives afin d’accroître le dynamisme des entreprises et stimuler l’entrepreneuriat, bien que de nombreux efforts aient déjà été réalisés ces dernières années.
En outre, d’après certains observateurs de tendance libérale, l’Inde devrait revoir son code du travail, notamment pour rendre plus flexibles les licenciements et recrutements. En effet, le secteur public qui concentre la plus grande part des emplois formels leur semble encore trop rigide en la matière. Il est, en effet, très difficile de licencier un fonctionnaire indien. Cette situation pourrait décourager la création de nouveaux emplois formels et pénaliser les travailleurs pauvres du secteur informel qui sont dépourvus de couverture sociale.
Dans ce sens, l’administration devrait digitaliser certains services comme l’enregistrement des salariés afin de simplifier la gestion de leurs couvertures sociales. Effectivement, l’idée serait de créer des emplois dans le secteur formel afin de mieux stimuler l’économie et d’offrir une protection sociale aux travailleurs.
Outre la simplification du mille-feuille administratif, le pays doit renforcer son système de santé. En effet, l’Inde consacre aujourd’hui 1% de son PIB sur la santé, chiffre qui devrait atteindre 2.5% d’ici 2025, soit encore le taux le plus bas des pays du G20 (Source OCDE).
L’Inde, la plus grande démocratie au monde, est une nation avec de multiples ressources, compétences, mais qui est à la fois inégalitaire et complexe. Ces dernières années, on a pu apercevoir une montée de tensions entre l’opposition et le parti en place liée aux méthodes de fonctionnement de ce dernier.
En effet, le chef de file de l’opposition, le parti du Congrès, dénonce les « méthodes de dictature » mises en place par le gouvernement Modi. Cette polémique a eu lieu suite à l’amendement National Capital Territory of Delhi Bill, 2021 voté par le BJP, la majorité du Premier Ministre au Lok Sabha (chambre basse du parlement indien). Celui-ci consiste à donner la primauté au vice-gouverneur de Delhi nommé au niveau central, remettant ainsi en cause le pouvoir du gouvernement élu. Dorénavant, le gouvernement élu démocratiquement devra demander l’avis du vice-gouverneur pour toute décision.
Un pays complexe avec de multiples crises internes
Ces dernières années, on peut apercevoir un regain de tension entre les minorités religieuses insufflé par le pouvoir central. Lors de son déplacement en Inde du 28 juillet 2021, le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a lancé un avertissement à Delhi sur « un risque de régression démocratique ». Si l’Inde ne parvient pas à trouver une harmonie entre ses minorités ethniques et religieuses, son développement sera freiné.
L’ouverture du pays aux touristes étrangers va avoir lieu en deux temps dans un premier temps pour le 15 octobre 2021 et puis une ouverture généralisée à partir du 15 novembre 2021. Cela va permettre à l’économie de tourisme mise à mal depuis plus de 19 mois par des mesures de restrictions va pouvoir redémarrer, mais des incertitudes persistent encore sur l’ouverture totale du pays. L’autre défi de taille sera la vaccination de sa population, soit 1.37 milliards de personnes. Malgré un rythme de 57 millions de doses injectées par jour en moyenne, soit 1,12 milliards de primo-vaccinées une dose, seulement 368 millions de personnes sont vaccinées complètement (2 doses) soit environ 26,6 % de sa population.
Une course contre la montre se joue : le pays travaille au quotidien pour augmenter ses lignes de production de vaccins, mais aussi pour augmenter sa capacité de vaccination afin d’atteindre l’objectif de vacciner une très grande majorité du pays d’ici la fin de l’année. A ce jour, le pays a décidé de se passer des vaccin ARN Messager qui sont plus efficaces et utilisé à grande majorité le vaccin indien Covaxin ainsi que le Covashield (AstraZeneca).
Lors de la COP26, Narendra Modi a défini un objectif de zéro émission nette d’ici 2070 pour l’Inde. Selon la modélisation quantitative menée sur les voies de décarbonations de l’économie indienne, le PIB en 2050 devrait augmenter de 406 milliards de dollars dans le scénario net zéro. Dans le processus, 22 millions d’emplois supplémentaires seront créés d’ici 2030 et 43 millions d’emplois supplémentaires d’ici 2050, a déclaré l’Observer Research Foundation.
L’Inde dispose de nombreuses opportunités, mais de nombreuses crises internes sont encore à surmonter. Seul l’union des peuples, permettra au pays de Vishnu d’accéder au podium des plus grandes puissances mondiales.
Sources :
- https://cgdev.org/publication/three-new-estimates-indias-all-cause-excess-mortality-during-covid-19-pandemic
- https://www.thehindu.com/news/cities/Delhi/dictatorship-of-modi-govt-can-now-be-seen-in-delhi-congress/article34094873.ece
- https://cgdev.org/publication/three-new-estimates-indias-all-cause-excess-mortality-during-covid-19-pandemic