Pierre Rousseaux – Pourquoi avez-vous souhaité poursuivre dans la recherche en économie, puis dans une carrière académique ?
PIERRE BOYER – Au cours de mon parcours en économie, j’ai eu l’opportunité de réaliser un stage à l’OCDE après ma troisième année de licence d’économie où j’ai eu la chance de rencontrer de nombreux professionnels aux parcours variés. Les échanges que j’ai eus avec ces personnes m’ont beaucoup plu et m’ont fait prendre conscience que ma formation en économétrie et en statistique était intéressante pour interpréter les résultats des modèles économiques, souvent développés par des chercheurs à l’OCDE. C’est alors que j’ai envisagé de poursuivre avec une thèse à l’Ecole d’Economie de Toulouse (Toulouse School of Economics) et à l’EHESS. Lorsque l’on débute une thèse, on se rapproche de la finalisation de son parcours académique, mais il subsiste toujours une part d’incertitude quant à la poursuite d’une carrière dans la recherche. J’ai eu la chance d’être en contact avec des universitaires tout au long de ma thèse, ce qui m’a ouvert les portes du monde de la recherche et a renforcé mon engagement dans ce domaine. J’ai également eu l’opportunité de visiter l’Institut Max-Planck à Bonn, où j’ai pu collaborer avec Felix Bierbrauer, qui est devenu mon principal co-auteur. Cette rencontre a été déterminante et a renforcé mon intérêt pour la recherche. Contrairement à l’idée reçue selon laquelle la recherche est une activité solitaire, elle se déroule au sein d’un groupe dynamique où les interactions sont nombreuses. Une fois que l’on trouve son groupe de recherche, cela devient extrêmement enrichissant et cela permet de persévérer dans la recherche, même lorsque les sujets abordés peuvent parfois être complexes.
Le choix de l’université de Mannheim comme premier poste académique s’est inscrit dans la continuité de votre expérience à Bonn ?
Oui, tout à fait. Le fait d’avoir effectué des visites à l’étranger pendant mon doctorat m’a permis de créer un réseau de recherche et d’établir des liens avec d’autres chercheurs. J’ai eu l’occasion de participer à des conférences et de visiter d’autres institutions. À la fin de mon doctorat, j’ai eu l’opportunité de me rendre à l’université Bocconi, qui est un lieu de référence en économie publique et en économie politique. Par la suite, j’ai eu l’opportunité de rejoindre l’université de Mannheim en tant que post-doctorant pendant deux ans, puis j’ai été embauché en tant que professeur assistant. J’ai finalement passé cinq ans en Allemagne, à Mannheim. Cette expérience a été une véritable chance pour moi, car elle m’a permis d’adopter de nouvelles approches et de considérer les problèmes sous un autre angle. J’ai pu bénéficier d’une formation intellectuelle différente et profiter des richesses offertes par une immersion dans un autre pays, tout en contribuant à la formation et à la recherche dans ce contexte. Ce séjour a joué un rôle très important dans mon développement intellectuel et dans l’évolution de mes travaux de recherche.
Le prix pour lequel vous avez été nominé récompense également l’implication dans le débat public. Votre première contribution au débat public date d’un an après l’obtention de votre doctorat. Était-ce une volonté ou vos sujets d’expertise vous y ont naturellement amené ?
En effet, l’article que j’ai publié dans la presse française un an après la fin de mon doctorat était lié au fait que j’avais remporté le prix de thèse de l’Association Française de Science Economique (AFSE). Toutefois, je pense que, étant donné la nature de mes recherches, il est naturel d’avoir un lien avec le débat public et de contribuer à l’éclairer. Ce lien s’est renforcé ces dernières années, notamment grâce à mon rôle au sein du Conseil des prélèvements obligatoires, dont je suis membre depuis deux ans, et en tant que directeur adjoint de l’Institut des Politiques Publiques depuis 2019. Auparavant, j’étais davantage concentré sur mon travail académique, en me perfectionnant dans mon domaine. Mais progressivement, j’ai commencé à m’impliquer davantage dans les débats et recommandations liés à mes recherches. Lorsque les décideurs publics sollicitent mon avis, en tant que professeur à l’École polytechnique, il est difficile pour moi de refuser, car je considère que cela fait partie de mon travail. C’est ma conviction personnelle. J’ai également contribué à diffuser les messages de mes travaux académiques auprès d’un public plus large, notamment à travers les Notes de l’Institut des politiques publiques.
À vos yeux, quel est le rôle de l’économiste dans la société?
Je ne pense pas qu’il y ait un rôle spécifique défini pour tous. Cela varie en fonction des sujets de recherche et des préférences individuelles. Par exemple, au sein d’une équipe, certains peuvent se concentrer davantage sur la diffusion des résultats, tandis que d’autres se concentrent sur la production d’articles scientifiques. Je ne préconiserais pas une approche unique, car cela dépend de nombreux facteurs. Cependant, il est indéniable que la recherche en économie est socialement utile, et il est bénéfique qu’il y ait des chercheurs qui fassent l’effort de transmettre les résultats et de les lier aux décideurs politiques et au grand public, comme vous le faites dans votre journal. Votre journal peut certainement jouer un rôle plus efficace que si chaque chercheur essayait de diffuser ses propres travaux. De plus, il existe différentes façons d’être utile dans le débat. On peut contribuer en participant aux médias grand public, mais aussi en siégeant dans des commissions d’experts, en conseillant les régulateurs, etc.
Selon vous, quels ont été les principaux changements dans la recherche économique ces dernières années ?
Dans mon domaine, il s’agit du lien entre la théorie et l’empirique. Ce lien peut varier en termes de facilité et de force selon les différents domaines de recherche en économie. L’une des forces de notre discipline, et ce qui est vraiment gratifiant pour un chercheur, c’est la capacité à établir ce lien. En effet, nous travaillons à produire des recherches de grande qualité qui répondent à des questions qui se posent dans la société depuis un certain temps, en utilisant de nouvelles données, tout en développant de nouvelles approches théoriques et conceptuelles pour mieux interpréter ces données. C’est une combinaison puissante.
En ce qui concerne la recherche en économie, je pense que nous sommes dans une phase de consolidation des acquis. Relativement à d’autres domaines, l’économie est une discipline relativement récente, et nous continuons à consolider nos connaissances sur certaines grandes questions. Parallèlement, nous assistons à des avancées et des découvertes qui remettent en question les paradigmes précédents, ce qui crée de nouveaux besoins en termes de modèles et d’approches. C’est un processus très enrichissant.
En conclusion, je pense que l’intérêt d’étudier l’économie demeure le même qu’il y a près de vingt ans, lorsque j’ai commencé mes études. C’est une discipline qui permet d’obtenir une grille de lecture utile pour aborder les questions qui se posent, et nous avons constamment besoin de développer cette grille de lecture pour répondre aux enjeux de notre société.