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“Marie Curie habite dans le Morbihan” – conversation autour du nouveau livre de Xavier Jaravel, Professeur d’économie à la LSE

parPierre Rousseaux
31 octobre 2023
dans France, Interviews, Livre
0
Xavier Jaravel à Paris, le 18 mai. SIMONE PEROLARI POUR «LE MONDE»

Xavier Jaravel à Paris, le 18 mai. SIMONE PEROLARI POUR «LE MONDE»

AUTEUR            Pierre Rousseaux
FORMAT            Interviews
DATE                  1 novembre 2023
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Xavier Jaravel est Professeur d’économie à la London School of Economics (LSE) et membre du Conseil d’Analyse Economique (CAE). Dans cette interview, nous discutons de son nouveau livre intitulé “Marie Curie habite dans le Morbihan” à paraître vendredi prochain aux éditions du Seuil. Dans cet ouvrage, il mobilise les travaux les plus récents de la recherche en économie, dans un style simple et accessible, afin de dresser des constats sur l’innovation et son impact sur les inégalités. Il y propose trois axes afin de dynamiser le processus d’innovation tout en réduisant les inégalités : la politique éducative, l’expansion des marchés, et la gouvernance participative de l’innovation.
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Pierre Rousseaux – Pourquoi ce titre ? 
XAVIER JARAVEL – Le titre fait référence à un constat central du livre : il existe un large potentiel de talents inexploités, des “Einstein et Marie Curie perdus”. Nous souffrons en France d’un déficit de vocations pour la science, l’innovation et l’entrepreneuriat. Les femmes et les jeunes d’origines modestes se tournent rarement vers de telles carrières, comparé aux hommes d’origines aisées. Ce retard existe même lorsque l’on compare des jeunes avec les mêmes résultats scolaires au lycée. Il y a aussi de fortes inégalités du point de vue territorial : la nouvelle génération d’innovateurs et de scientifiques est très inégalement répartie sur le territoire. Par exemple, le Morbihan est le département avec la plus faible proportion de jeunes se tournant vers les carrières de la science, de l’innovation et de l’entrepreneuriat, malgré d’excellents résultats scolaires au baccalauréat. D’où le titre de l’ouvrage. 
Ces différences s’expliquent par plusieurs raisons, notamment des phénomènes de mimétisme qui sont déterminants dans les choix de carrière. Pour en revenir au Morbihan : l’activité économique y est principalement axée sur l’agriculture et le tourisme, il n’y a pas d’écosystème d’innovation déjà en place et les vocations pour la science et l’innovation émergent donc moins naturellement que lorsque la jeune génération grandit près d’une technopole, par exemple celle de Sophia Antipolis. Le message principal du livre est qu’une meilleure mobilisation des talents – à travers l’éducation et l’orientation scolaire – permettrait de fortement augmenter notre capacité d’innovation et la productivité de l’économie, tout en réduisant les inégalités de genre, intergénérationnelles et territoriales. 
Quel constat a-t-il été à l’origine de l’écriture de ce livre ?
Le but du livre est de répondre à la question suivante : la hausse des inégalités est-elle inévitablement un effet collatéral de l’innovation ? C’est une problématique cruciale car nous avons besoin d’innovation sur bien des plans, allant de la transition écologique à la pérennité de notre système de protection sociale (qui dépend fortement de la croissance économique, elle-même tributaire de l’innovation). Intuitivement, on se dit que l’innovation va de pair avec les inégalités : on entend souvent parler des startupers qui lèvent des millions d’euros d’un côté, et de l’autre, de ceux qui perdent leur emploi parce qu’ils ont été remplacés par des robots, peut-être inventés par ces mêmes startupers. Pourtant, le livre conclut qu’il n’y a pas de fatalité : on peut renforcer l’innovation tout en réduisant les inégalités, à condition de choisir les bons axes de politique publique. C’est pourquoi je défends des priorités de politique économique différentes de celles menées aujourd’hui, notamment sur l’éducation, la politique commerciale et la gouvernance de l’innovation. 
Pourquoi privilégier l’utilisation des résultats de la recherche en économie pour étayer ces constats et ces problématiques ? De quelle manière ces résultats contribuent-ils à une meilleure compréhension de ces enjeux, et en quoi peuvent-ils guider la mise en place des politiques publiques ?
La recherche moderne en économie, et en particulier les travaux empiriques, permet de dépasser les idéologies et les préjugés pour se concentrer sur les faits et identifier des priorités pour l’action publique. L’analyse des données nous donne de nombreux outils pour identifier des relations de cause à effet, et pas seulement des corrélations. Cela nous permet ensuite de faire des liens directs avec la conception des politiques publiques en identifiant ce qui marche et ce qui a le plus de potentiel. 
L’idée est donc de rester proche des travaux de recherche, qui sont d’ailleurs tous cités dans une liste exhaustive des références, disponible en ligne. Le livre rend ces travaux accessibles à tous en les décrivant de manière simple, tout en soulignant leurs limites. 
Cela permet à chacun de se forger sa propre vision, car je pense qu’il y a plusieurs interprétations possibles du livre. Certaines idées sont peut-être plus “de gauche”, d’autres peut-être plus “de droite” : on peut s’approprier les idées avancées dans l’ouvrage de différentes manières à partir des faits empiriques, c’est ce que j’entends par “dépasser les idéologies”. 
L’observation principale de votre livre est que l’innovation est par principe “en rhizome”. Cependant, bien que l’innovation soit bénéfique en moyenne, ses bénéfices sont répartis de manière très hétérogène. 

Oui, arrêtons nous un instant sur cette idée d’“innovation rhizome”. J’utilise le rhizome comme métaphore pour la nature du processus d’innovation. Un rhizome est un réseau de racines (par exemple, celles des pommes de terres ou des bambous) qui se déplace horizontalement dans tous les sens et qui n’a pas de centre, pas de hiérarchie, pas de pyramide. C’est l’inverse de la métaphore habituelle sur l’innovation, le “ruissellement”  comme s’il y avait un créateur génial, l’entrepreneur, qui inventait une nouvelle technologie, puis un processus qui en découlait naturellement jusqu’à toucher toute la population. En fait, quand on examine l’histoire de toutes les grandes innovations, on ne voit pas de ruissellement mais plutôt un rhizome. C’est-à-dire que l’innovation est un processus d’allers-retours, où quelque chose est lancé, qui parfois provient de la recherche fondamentale, puis qui s’adapte car les besoins des consommateurs sont mieux compris au fil du temps, ce qui en retour conduit à une modification de la technologie, etc.
Le rhizome est donc une structure sans centre, un réseau où chaque point peut influencer directement le reste du réseau. Gilles Deleuze et Félix Guattari ont utilisé la métaphore du rhizome dans leurs travaux en philosophie de la connaissance, et elle me semble très juste également pour comprendre l’innovation.  
Voir l’innovation comme un processus rhizomique signifie que la politique d’innovation ne doit pas avoir pour but principal d’attirer les entrepreneurs les plus géniaux sur le territoire national. Il faut plutôt miser sur la capacité de la population dans son ensemble à adopter et diffuser les grandes innovations. 
Ce rôle clef de la diffusion de l’innovation explique pourquoi toutes les grandes vagues technologiques prennent des décennies. Un exemple récent est ChatGPT, les robots conversationnels, qui mettront eux aussi des décennies à s’intégrer dans toutes nos activités. À mesure qu’une entreprise ou un secteur adopte la technologie, la technologie en retour s’adapte, par exemple sur les questions de confidentialité des données, avec différents modèles pour permettre à chaque entreprise de l’utiliser en interne. Ce qui compte n’est pas seulement d’inventer les technologies, mais aussi et surtout de les diffuser, et cela implique tout le monde : il faut une main-d’œuvre bien formée pour pouvoir adopter et diffuser ces technologies et une société qui accepte ces nouvelles technologies dans son ensemble. Cela passe par l’éducation et par le fait de sensibiliser une partie importante de la population aux enjeux de la science et de l’innovation.
Vous soulignez un constat intéressant sur le fait que les entreprises et les innovations tendent à se concentrer sur des marchés en croissance plutôt que sur des marchés reposant sur une large base de consommateurs. En quoi cette stratégie accentue-t-elle les inégalités et pourquoi les innovations se positionnent-elles ainsi ?
En effet, l’un des principaux facteurs d’innovation est la taille du marché, et plus précisément la croissance des marchés. La logique est intuitive : lorsqu’un marché est en croissance, il existe des incitations économiques plus fortes pour investir et innover afin de pénétrer ce secteur, car il y a des parts de marché à gagner et plus de consommateurs ou de revenus disponibles pour les consommateurs de ce marché. 
Un exemple est celui des produits bio aux Etats-Unis, qui sont principalement achetés par des populations aisées. Du fait de la hausse des inégalités de revenus aux Etats-Unis, la demande des ménages aisés augmente plus rapidement, notamment pour les produits bio, ce qui induit une hausse de l’innovation et une transformation de la chaîne de valeur :  vous avez de plus en plus d’agriculteurs qui obtiennent la certification bio, des engrais bio, et diverses innovations voient le jour pour répondre à cette demande en hausse. Au final, le prix des produits bio baisse et leur qualité augmente, une excellente nouvelle pour les ménages aisés, alors que ces produits restent hors de portée des ménages modestes. Tout ceci conduit donc à une amplification des inégalités de revenus aux Etats-Unis. On le voit sur la majorité des marchés – pas seulement le bio – et je chiffre que cela représente une amplification des inégalités de pouvoir d’achat d’un cinquième aux Etats-Unis.
En France, nous échappons à cela car la distribution des revenus disponibles est relativement stable au fil du temps. 
Le fait de se positionner sur des marchés en croissance ne viendrait-il pas également du fait qu’il y ait d’importantes barrières à l’entrée sur les marchés de grande taille (mais sans croissance) ? 
Oui, car en réalité, si vous avez un marché qui est important en taille, vous avez également déjà beaucoup plus de concurrents. Les études empiriques dont nous disposons montrent que c’est l’accroissement de la taille du marché qui est important, plutôt que la taille de marché. La logique est la suivante : dans un cas où le marché est large, vous avez déjà eu beaucoup de concurrence avec des acteurs qui sont déjà entrés sur ce marché, donc la taille de marché “effectivement disponible” est faible. Qu’il s’agisse de barrière à l’entrée où simplement de la concurrence des nombreux acteurs déjà en place, il n’est pas facile de se faire une place.
En revanche, quand le marché est en croissance, il est important d’entrer justement avant d’autres concurrents. Le marché est plus large et offre plus d’opportunités. 
Si ce qui comptait, c’était la taille du marché (plutôt que son accroissement), les dynamiques d’innovation seraient très différentes et bénéficieraient en fait beaucoup plus à la classe moyenne, car la classe moyenne reste le marché le plus important dans la grande majorité des cas. 
Face au constat que vous décrivez, dressez-vous recommandations en termes d’incitation à l’innovation du point de vue des dynamiques de marché ? 
Je souligne que la politique d’innovation ne doit pas perdre de vue que la taille de marché est un levier central de l’innovation. C’est important notamment s’agissant du débat sur le protectionnisme qui est revenu sur le devant de la scène depuis la crise de la Covid-19. Un protectionnisme très ciblé est justifiable et souhaitable, mais un protectionnisme à tous crins serait dangereux pour l’innovation. Pour la France ou l’Union européenne, avoir accès au marché mondial est un élément essentiel pour disposer d’un marché suffisamment large et pouvoir innover de manière adéquate. Dans le cas français, on peut penser par exemple à Airbus, où 95 % des ventes se font hors de l’hexagone.
Vous parlez de l’origine sociale des innovateurs et de l’intervention de l’Etat dans l’éducation, en quoi ces aspects sont importants quand on étudie le lien entre innovation et inégalités ? 
Le livre commence par constater que l’innovation semble souvent aller de pair avec les inégalités dans plusieurs domaines, puis s’interroge sur les causes sous-jacentes. La première cause sous-jacente est la question de la taille du marché, qui amplifie la hausse des inégalités de revenus, comme nous venons de l’évoquer avec l’exemple des Etats-Unis.
La deuxième raison concerne la sociologie des innovateurs : la plupart d’entre eux proviennent de classes aisées et sont majoritairement des hommes. Ils ont donc tendance à avoir en tête des produits qui diffèrent de ce que la population dans son ensemble souhaiterait. Les individus sont plus enclins à travailler sur des projets qui leur sont familiers et à créer des innovations pour résoudre des problèmes auxquels ils sont confrontés dans leur milieu.
Un exemple historique qui le montre bien est celui de Louis Braille, l’inventeur du système tactile pour non-voyants portant son nom, qui était lui-même non-voyant. C’est un exemple frappant où l’on voit bien que l’invention de ce produit a été influencée par sa propre expérience. Et nous observons cet effet à grande échelle, que ce soit du point de vue du genre ou de la classe sociale : les femmes inventent des produits qui concernent les femmes (par exemple, une application smartphone de régulation du cycle menstruel). 
Le troisième facteur concerne le rôle de l’État, qui tend à renforcer les dynamiques d’innovation existantes par le biais de financements accrus pour subventionner l’innovation. Cela nourrit les inégalités en raison des facteurs précédents : on amplifie les dynamiques existantes en subventionnant l’innovation de manière non ciblée (par exemple en France avec le Crédit d’impôt recherche). 
Enfin, le quatrième levier est l’éducation: les plus éduqués adoptent plus rapidement les innovations. C’est l’éducation qui permet d’adopter des innovations plus rapidement et de manière plus large. Augmenter le capital humain du plus grand nombre permet à la fois d’accroître la productivité par une diffusion plus rapide des innovations et de réduire les inégalités (sinon seule une minorité – les plus éduqués – adoptent et tirent parti des innovations). 
J’insiste beaucoup sur le fait qu’en France, nous sommes très en retard sur l’éducation et que nos performances sont bien inférieures à celles d’autres pays comparables. Le livre revient en détail sur les constats et conclut qu’il y a une baisse spectaculaire du niveau des élèves, y compris pour les meilleurs élèves. Du point de vue de l’innovation, cela affecte à la fois la création d’innovations, qui proviennent souvent des plus qualifiés, mais aussi et surtout la diffusion des innovations, qui passe par l’éducation de tous, y compris les filières techniques. Le principal problème économique de la France est donc l’éducation, via ses effets sur la capacité d’innovation et l’augmentation de la productivité.
La concentration de l’innovation par les classes aisées et éduquées peut mener à un phénomène d’auto-entretien puisque les innovations sont principalement orientées vers les besoins et préférences de ces mêmes groupes sociaux. Une statistique citée dans votre livre révèle bien cette concentration des innovations dans les plus hauts revenus : aux États-Unis, 70% des contribuables du top 1% ont des revenus tirés de l’entrepreneuriat, et ce pourcentage est encore plus élevé pour le top 0,1%.
Exactement. Les hauts revenus et hauts patrimoines proviennent souvent d’activités d’’entrepreneuriat. En plus de cela, il existe un phénomène de mimétisme entre les entrepreneurs, leur milieu social et le type de marché qu’ils cherchent à conquérir, comme vous l’avez résumé. Un des remèdes possibles à ces dynamiques est une politique éducative solide qui permettrait de démocratiser l’accès à ces carrières en formant davantage de personnes. Cela aurait pour effet d’augmenter non seulement le nombre total de personnes impliquées dans les domaines de la science, de l’entrepreneuriat et de l’innovation, mais aussi de changer les types d’innovations que l’on observe, en modifiant la composition sociale des entrepreneurs. Cela aurait une influence indépendante de la taille du marché sur les types de produits créés.
En effet, l’éducation et la formation sont des leviers clés pour permettre à un plus grand nombre de personnes de comprendre, d’adopter et de participer à l’innovation. De telles politiques permettraient de réduire l’écart entre les personnes qualifiées et les moins qualifiées, ce qui peut contribuer à une meilleure diffusion des innovations dans la société, permettant à davantage de personnes de participer au processus d’innovation en tant que créateurs ou entrepreneurs, et donc in fine de diversifier le paysage des innovations et les rendre plus accessibles et bénéfiques pour un plus grand nombre de personnes.
En effet, vous résumez parfaitement les enjeux. L’orientation scolaire et professionnelle joue un rôle crucial dans la formation du capital humain et dans la détermination du nombre de personnes qui feront des carrières scientifiques ou entrepreneuriales. Il y a aussi un sujet d’orientation pour les filières techniques : dans certains domaines professionnels comme la soudure ou la chaudronnerie, il existe une forte demande mais un manque de formations ou une méconnaissance des formations existantes. C’est un frein important pour la capacité d’innovation de secteurs essentiels comme l’énergie, la construction navale ou l’aéronautique, qui ont besoin d’opérateurs qualifiés pour adopter et diffuser les innovations. 
En plus de l’orientation, il existe un autre enjeu qui est de renforcer globalement le capital humain. Cela passe par de meilleures compétences en général – français, mathématiques, compétences socio-comportementales, etc. Mais aussi par des compétences sur des sujets plus proches de l’innovation, notamment une meilleure compréhension des outils numériques, de la programmation, etc. C’est ainsi que l’on permettra au plus grand nombre d’avoir des qualifications requises pour adopter voire inventer les nouvelles technologies. 
Dans votre livre vous décortiquez également certaines idées reçues sur les effets de l’innovation ou des propositions de politiques publiques fréquemment débattues dans le débat public. Parmi ces dernières, on compte l’idée de la taxation des plus riches, des robots ou l’instauration d’un revenu universel. 
Oui, j’analyse tous les facteurs par lesquels l’innovation renforce les inégalités et j’analyse ensuite si les propositions fréquemment avancées sont de nature à vraiment changer la donne. 
Cela me conduit à écarter certaines idées reçues. Par exemple, l’idée que les robots entraînent une destruction massive d’emplois n’a pas de réalité empirique. J’en étais le premier surpris, mais de nombreuses études empiriques menées en France et dans d’autres pays tels que les États-Unis, le Danemark, le Royaume-Uni, l’Espagne et le Canada montrent que les entreprises qui automatisent augmentent généralement leurs effectifs salariés. Elles ne détruisent pas l’emploi, au contraire. Cela est principalement dû à un effet de productivité : lorsque les entreprises automatisent plus rapidement que les autres, elles deviennent plus productives et gagnent des parts de marché, augmentant ainsi leurs ventes, leur activité et leur masse salariale. Cette tendance se reflète également au niveau des secteurs d’activité et des pays. Par exemple, l’Allemagne, qui est plus robotisée que la France, a mieux préservé son industrie et son emploi industriel et détient une plus grande part de marché à l’international.  
Par conséquent, des “solutions” telles que la taxation des robots semblent tout à fait contre-productives. Si un pays comme la France choisit de ne pas utiliser de robots en les taxant, les autres pays qui en utilisent bénéficieront d’un avantage concurrentiel. Ainsi, les produits de l’industrie allemande pourraient être importés, entraînant une perte d’emplois et un déséquilibre commercial encore plus défavorable pour la France.  
J’examine également dans le livre le sujet de la taxation des plus riches – omniprésente dans le débat français. La taxation des riches permet bien sûr de redistribuer une partie des rentes de l’innovation. Mais je montre dans le livre que l’impact est relativement faible, car les hausses d’impôt ne permettent pas de changer la composition des innovateurs ni d’augmenter notre capacité d’innovation globale (au contraire).  
En revanche, j’identifie l’éducation comme un levier beaucoup plus puissant. Plutôt que de se concentrer sur les propositions aujourd’hui portées dans le débat public, qui ont des effets limités, je soutiens que la priorité devrait être accordée à l’éducation et à l’orientation professionnelle pour exploiter pleinement le potentiel des « Einstein et Marie Curie perdus », y compris dans des régions comme le Morbihan. 
Quelles sont les principales recommandations pour dynamiser le processus d’innovation français que vous proposez dans ce livre ? 
Le message principal du livre, vous l’avez compris, est de souligner que l’éducation est le premier défi économique de la France et qu’elle est cruciale pour renforcer la capacité d’innovation du pays tout en réduisant simultanément les inégalités. 
Le livre prône également le maintien de l’idéal d’expansion des marchés et de mondialisation, en insistant sur la possibilité de participer au marché mondial d’une manière “résiliente”. Cela signifie que la France peut être intégrée dans le marché mondial sans être exposée à des chocs externes et sans subir une augmentation des inégalités. 
Enfin, le livre aborde la question de la gouvernance de la politique d’innovation. Ce dernier point met l’accent sur le rôle crucial de l’évaluation des politiques d’innovation pour minimiser les effets d’aubaine. Une suggestion est de faire participer les citoyens ou les parlementaires à l’évaluation des politiques d’innovation afin de rendre ce sujet plus connu et d’en faire un enjeu politique. Sans une telle implication, l’évaluation reste un exercice limité à des commissions, sans impact réel sur l’efficacité des politiques publiques. 
Le livre préconise donc un changement de perspective en matière de priorités, suggérant de se concentrer sur l’éducation, l’expansion des marchés et la gouvernance de la politique d’innovation, plutôt que sur la taxation des riches ou des robots. Les nouveaux axes que je propose ont un point commun : ils agissent à la racine en s’attaquant aux forces profondes qui déterminent les relations entre l’innovation et les inégalités à long terme.


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Pierre Rousseaux

Pierre Rousseaux

Président cofondateur et rédacteur en chef d'Oeconomicus; Doctorant au CREST (École Polytechnique, ENSAE) et économiste à l'Institut des Politiques Publiques (IPP)

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