Si le Canada ou la Californie ont choisi de légaliser le cannabis à usage récréatif ou médical, la France affiche l’une des politiques les plus restrictives d’Europe. Quels impacts aurait une légalisation de ce dernier en France ? La consommation d’alcool, de tabac ou d’autres drogues en serait-elle affectée ? Quel prix donner au cannabis pour éviter tout marché parallèle ? Tant de questions auxquelles s’est écharpé le Conseil d’Analyse Économique dans sa note à ce sujet remise au Premier Ministre en juin dernier.
Quelle relation existe-t-il entre l’alcool et le cannabis ?
Cette question est essentielle puisque déterminer l’effet de la légalisation du cannabis sur la consommation d’alcool relève d’un soucis de santé et de sécurité publique. En effet, si la consommation de cannabis est complémentaire à celle de l’alcool, une hausse de la première entraînerait une hausse de la seconde, ce qui n’est pas sans problème pour la société.
Qu’en est-il de l’empirique ? Les études semblent s’entendre sur le fait qu’alcool et cannabis soient des biens substituts. En clair, en augmentant ma consommation de l’un, je réduis celle de l’autre. S’offre alors deux options pour le consommateur : consommer l’un à défaut de l’autre, ou au contraire, répartir sa consommation entre le cannabis et l’alcool. De plus, la hausse du prix de base du cannabis semble entraîner une hausse de consommation d’alcool et inversement, confirmant ainsi le caractère substitut de l’alcool et du cannabis.
Quid du tabac ?
Si aucune conclusion statistique ne fait consensus au sein du rapport, la complémentarité du cannabis et du tabac reste toutefois l’hypothèse la plus probable. Si ce lien existe bel et bien, il va cependant à l’encontre du bien-être de la société et renforcerait toute addiction puisqu’une consommation de cannabis entraînerait également une consommation du tabac. Une solution proposée pour pallier cette double utilisation addictive serait de troquer la vente de cannabis sous forme d’herbe ou de résine par une consommation sous forme d’huile ou de cigarettes électronique, les premières formes incitant davantage à une consommation complémentaire au tabac.
Un effet « tremplin » vers les drogues dures ?
Cet effet tremplin est le fait de pouvoir facilement passer du cannabis à une drogue plus dure, avec pour principal risque la toxicomanie. Bien que les recherches ne s’accordent pas toutes aux mêmes résultats, cet effet vient en grande partie du caractère monopolistique de la vente. Les dealers, en étant les seuls vendeurs de stupéfiants, proposent en plus du cannabis une grande diversité de drogue. La transition vers des drogues dures est donc très simple, exposant ainsi fortement les consommateurs à la toxicomanie.
La légalisation, en segmentant le marché et faisant reculer le marché illégal, permettrait de limiter l’effet passerelle entre le cannabis et les drogues dures, les vendeurs reconnus par l’Etat ne vendant uniquement du cannabis.
Si légalisation il y a, quel prix ?
La détermination du prix du cannabis ne semble ici pas répondre à une simple confrontation entre l’offre et la demande, mais bien plus complexe. Le législateur se confronte alors à deux problèmes : comment mettre un prix suffisamment élevé pour réguler la consommation et suffisamment bas pour éliminer tout marché illégal ? À l’image du prix du tabac, la moindre imperfection dans l’élaboration du prix du cannabis rendrait les efforts du législateur vains.
En bref, l’Etat doit trouver un prix pouvant saturer deux conditions dont les logiques s’opposent entre elles. Si le prix est trop faible, la consommation et les pertes de recettes étatiques pourraient être inférieures à celles prévues. À l’inverse, s’il est trop fort, bien que bénéfique à première vue pour les recettes de l’Etat, ce prix pourrait laisser place à une part toujours croissante du marché illégal. Une possibilité serait d’utiliser un prix progressif, faible au début de la légalisation afin d’assécher le marché illégal, puis de plus en plus élevé pour réguler la consommation, le prix ne pouvant augmenter indéfiniment il reste toujours un prix optimal pour l’Etat à déterminer.
Une note antérieure du Conseil d’Analyse Économique avait réalisé ce travail de simulation et avait conclu sur un prix moyen du gramme de cannabis, sous forme d’herbe, de 9€. Ce dernier alertait également que ce prix ne pourrait en aucun cas couvrir la totalité des coûts destinés à la régulation de la consommation. Cette recette serait ainsi davantage synonyme d’allégement du budget de l’Etat, même s’il serait dans une moindre mesure. Un allégement non-négligeable, puisque le Colorado, aux Etats-Unis, a enregistré plus d’un milliard de dollars de recettes liées au cannabis depuis sa légalisation en 2014.
L’élasticité prix d’un gramme de cannabis a fait l’objet de nombreuses études et celles-ci tablant sur une élasticité négative. En clair, plus le prix d’un gramme de cannabis augmente, moins il y aura de consommation de ce dernier, ce qui semble a priori logique. Ceci caractérise la courbe verte du graphique ci-après, soit la consommation. À 9€, dans l’hypothèse de la note du CAE, la consommation est au maximum, tout comme les recettes publiques, et les pertes et parts du marché illégal sont, elles, nulles. Cette situation est optimale. Au-delà, de 9€, de moins en moins de personnes achèteront, donc la décroissance de la courbe, et inversement pour la partie croissante de la courbe.
En Économie, cette situation est souvent illustrée graphiquement par une courbe de Laffer. L’économiste Arthur Laffer avait dans les années soixante-dix, formalisé la relation entre l’augmentation du taux d’imposition et les recettes de l’Etat par cette courbe. Elle aura inspiré nombres de politiques, à commencer par Reagan et Thatcher.
Ainsi, au regard de ses concurrents, le cannabis s’avère dans un premier temps substitut à l’alcool et complémentaire au tabac. Sa légalisation pourrait être tant une solution pour pallier l’effet « tremplin » vers les drogues dures, coupant ainsi l’herbe sous les pieds des dealers, qu’une solution d’utilité publique et sanitaire. Toutefois, sa légalisation ne reste pas aussi simple qu’il n’y paraît. Si des propositions de prix figurent déjà à l’ordre du jour, l’Etat doit toutefois déterminer un niveau optimum pouvant concilier régulation de la consommation et assèchement des marchés noirs. Cela peut expliquer que dans les agendas, cette légalisation reste aujourd’hui troquée par une politique de réprimande et contravention, mais il est peut-être plus plausible que ce soit la sensibilité du sujet qui décourage les gouvernements à franchir le pas de la légalisation.
Sources :
- Cannabis : comment reprendre le contrôle ?, Note du Conseil d’Analyse Économique, Juin 2019
- En finir avec les dealers : à quel prix ?, Note du Conseil d’Analyse Économique, Juin 2019
- Chaloupka F.J. et A. Laixuthai (1997) : « Do Youths Substitute Alcohol and Marijuana? Some Econometric Evidence », Eastern Economic Journal, vol. 23, n° 3, pp. 253276 et DiNardo et Lemieux (2001)
- Davis A.J., K.R. Geisler et M.W. Nichols (2016) : « The Price Elasticity of Marijuana Demand: Evidence from CrowdSourced Transaction Data », Empirical Economics, vol. 50, n° 4, pp. 11711192, obtiennent une élasticité prix de – 0,67 à – 0,79.
- Jacobi L. et M. Sovinsky (2016) : « Marijuana on Main Street? Estimating Demand in Markets with Limited Access », American Economic Review, vol. 106, n° 8, pp. 200945,
- Faut-il légaliser le cannabis en France ? Un bilan socio-économique, Christian Ben Lakhdar et Pierre-Alexandre Kopp, 2018
- Marijuana Tax Data, Colorado Department of Revenue