La crise du coronavirus a bouleversé à toutes échelles et horizons temporels notre économie et son financement. Traumatisés par la pandémie mondiale, les comportements des investisseurs à long terme ne semblent toutefois pas optimaux quant aux financements des entreprises.
Les marchés boursiers européens se sont effondrés, en témoignent l’Euro Stoxx 50, indice de référence des marchés de la zone euro, qui a perdu 28,34% de sa valeur entre le 18 février et le 18 mars, ou encore le CAC 40 qui a chuté de 28,29% sur cette même période.
En 2008, le krach financier avait causé une crise de l’économie réelle avec des faillites d’entreprises et licenciements. La crise actuelle est toute autre: la chute de l’activité réelle à cause de la pandémie est l’une des raisons de la chute des marchés financiers. La pandémie de Covid-19 a bloqué l’ensemble de l’industrie à l’échelle mondiale et a donc provoqué un choc négatif d’offre, mais aussi contraint la consommation, étant donné la situation de confinement induite.
La combinaison de ces deux chocs négatifs, respectivement d’offre et de demande, a eu pour conséquence un arrêt partiel de l’économie, de telle sorte qu’une panique générale sur les marchés financiers a eu lieu, par crainte de pertes financières démesurées, symbolisée par une explosion de l’indice de volatilité du marché de l’Euro Stoxx 50, le VSTOXX, atteignant un pic record à 91 le 16 mars.
L’or noir n’avait, lui aussi, pas été épargné. Son cours avait subi un choc, du fait de l’échec des négociations début mars entre les pays de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) et la Russie, afin de réduire la production de pétrole, et de demande en raison de la crise, poussant à l’effondrement de son cours en raison d’une demande inférieure à l’offre, plongeant à 19,31$ le prix du baril de Brent le 21 avril (1).
Le manque de visibilité quant à la fin de la crise sanitaire est l’un des responsables de la dépression économique. Les marchés boursiers étant le lieu d’échange des attentes futures, l’incertitude et le manque de confiance peuvent donner lieu à des réactions disproportionnées sur ces marchés. Dans une telle situation d’incertitude, la moindre allocution peut déclencher des comportements excessifs sur les marchés boursiers (2).
Si l’ancien président de la BCE Mario Draghi promettait de sauver l’euro « quoi qu’il en coûte », contribuant ainsi à l’apaisement des marchés financiers, sa successeure, Christine Lagarde, annonçait au contraire le 12 mars qu’elle n’avait pas pour rôle de calmer les marchés avec des mesures exceptionnelles.
Ce discours, marqué de fermeté, n’a pas mis longtemps pour avoir des conséquences négatives, quant à l’oubli de procurer une stabilité sur les marchés. Le lendemain, la bourse de Milan perdait 17% et les taux d’intérêts italiens augmentaient, passant de 1% le 3 mars à 1,7%, le 12 (3).
Malgré un rétropédalage de la BCE le 18 mars en lançant un programme « d’urgence pandémique » à la hauteur de 750 milliards d’euros afin de soutenir la zone euro, les investisseurs s’inquiètent du fait que mesures exceptionnelles rime avec situation exceptionnelle (4). En clair, si des mesures exceptionnelles sont prises, elles illustrent la gravité de la situation, ne pouvant ainsi calmer les marchés financiers, paniqués par le signal négatif interprété derrière ce programme.
En cette période de crise, les actions se montrent de moins en moins clairvoyantes en bénéfice. Ainsi, de part la situation, les investisseurs préfèrent troquer aux actions potentiellement lucratives en dividendes, des placements moins risqués, et donc moins rémunérateurs.
La zone euro pourrait-elle bénéficier d’un attrait pour le risque des épargnants ?
En maintenant et/ou en redirigeant leurs placements vers des plus risqués, les investisseurs permettraient aux entreprises de la zone euro de diversifier leurs sources de financement.
Une entreprise peut se financer de manière directe, en émettant des actions ou des obligations sur les marchés financiers, ou indirecte, via l’octroi d’un crédit auprès d’un intermédiaire financier (une banque par exemple).
En se finançant par la voie des marchés financiers, les entreprises émettront des actions, l’entreprise obtient les fonds des investisseurs pour financer ses projets ou assurer son flux de trésorerie. L’investisseur ne récupèrera pas son montant mais uniquement des dividendes, en fonction de l’activité de l’entreprise, et obtiendra un droit de vote au sein de l’Assemblée Générale de l’entreprise afin de voter les décisions prises en matière de stratégie d’entreprise (donc intimement liée aux dividendes).
Les entreprises peuvent aussi émettre des obligations, qui sont en quelque sorte des crédits accordés aux entreprises par l’investisseur. Ce dernier sera remboursé de sa somme initiale à laquelle s’ajoutera des intérêts, à la date d’échéance de l’obligation (du « prêt »).
En cas de mauvaise santé économique d’une entreprise, le cours de son action en portera les conséquences en raison du risque de perte qui augmente. Ainsi, afin d’attirer l’investisseur malgré le risque de l’entreprise, l’entreprise va récompenser la prise de risque de l’investisseur en ajoutant une prime de risque. Plus cette prime de risque est élevée, plus l’actif est risqué, puisque l’entreprise rémunère davantage le placement en “monnaie sûre” étant donné que la prime de risque est versée quoi qu’il en soit, contrairement au cours de l’action qui peut constamment varier (5).
Avec des investisseurs européens poussés à prendre des risques, la demande pour les titres de l’entreprise aux actifs risqués (risqués de part la situation économique actuelle contrainte) pousserait à la baisse le risque de cet actif, car de plus en plus d’investisseurs se tourneraient vers cette action. Par conséquent, la prime de risque diminuerait, au vu de de l’augmentation de la demande pour l’actif et donc de la baisse du risque.
Les avantages en seraient grands pour les entreprises, qui bénéficieraient d’un financement par le marché moins coûteux grâce à une diminution du montant des primes de risque qu’elles doivent ajouter à chaque actif, et les rendraient plus indépendantes des institutions financières. Diminuer ses coûts de financement, rien de mieux pour les entreprises impactées par la crise du coronavirus !
Si cet attrait pour les placements financiers risqués semble être une solution pour rendre l’après crise moins coûteux et plus efficace, il reste toutefois opposé aux visions des ménages par exemple, qui souhaitent au contraire des placements moins risqués et à court terme afin de pouvoir récupérer leurs placements à tout moment. À l’inverse, les entreprises ou les administrations publiques présentent un besoin de financement axé sur le long terme et risqués.
Comme constaté, le financement de l’économie repose sur un déséquilibre d’horizon temporel entre l’offre et la demande de financement. Ce déséquilibre nécessite une transformation de l’horizon temporel et du risque de l’épargnant, de sorte à répondre aux besoins de court terme sans risque des ménages tout en satisfaisant les besoins de long terme et risqués des entreprises ou administrations publiques.
Pour résoudre cette équation, la zone euro a tendance à se financer par intermédiation de bilan. En prenant une banque comme exemple d’intermédiaire financier, celle-ci va se charger de collecter les fonds des ménages ou d’un autre acteur en capacité de financement, pour les octroyer à des entreprises ou administrations publiques en besoin de financement. Cette transformation implique pour la banque une prise en charge des risques au bénéfice des offreurs et demandeurs d’épargne. Ainsi, l’intermédiaire financier permet de transformer une épargne sans risque en financements risqués (6).
Afin d’amortir les pertes en cas de difficultés, la banque doit se munir de fonds propres, constitués à partir des actions émises et des bénéfices mis en réserve (7). Une diminution des actions émises limite le montant de ces fonds propres et donc fragilise les banques et leur capacité à transformer une épargne sans risque en financement risqué, ce qui peut leur empêcher de répondre aux besoins des différents acteurs économiques. Les banques ont donc recours à des manipulations complexes dans leurs bilans, et leurs multitudes peuvent devenir coûteuses à terme, d’où la nécessité pour l’économie de diversifier ses sources de financement en s’appuyant sur le financement de marché, impliquant une progression de l’attrait pour le risque.
Actuellement les PME, qui représentaient en 2018 une part de 56,4% de la valeur ajoutée ainsi que 66,6% de l’emploi en zone euro (8), bénéficient de bonnes conditions d’accès aux crédits bancaires. Cependant, les réglementations bancaires plus strictes telles que celles qui entreront en vigueur en janvier 2022 pour compléter les accords de Bâle III pourraient contraindre les établissements bancaires à limiter leur offre de financement. En effet, en raison d’exigences de fonds propres plus élevés, les établissements bancaires risquent d’accuser une capacité de transformation de l’épargne sans risque en financement risqué plus limitée, incitant les banques à rationner leur offre de crédit.
De plus, ce rationnement est d’autant plus envisageable en période de crise, les établissements bancaires augmentant leurs exigences de garantie auprès des entreprises. Sans cet attrait pour le risque, la zone euro risquerait d’exacerber son modèle d’intermédiation financière, le rendant plus dangereux d’un point de vue systémique.
La chute des cours boursiers a ainsi eu une répercussion sur les conditions de financement des entreprises, les investisseurs ayant tendance, en temps de crise, à se rattacher à des placements sûrs et rentables de sorte que les titres risqués comme les actions et obligations soient délaissés. Les actions deviennent d’autant moins rentables qu’il y a un recul des dividendes versés par les entreprises, notamment par manque de liquidité. Si bien que les entreprises perdent une partie de leurs sources de financement, celles par le marché, devenant progressivement plus dépendantes des financements intermédiés, contribuant ainsi à la progression de risques systémiques et ralentissant la reprise économique espérée suite à l’épidémie.
Sources :
- Pétrole, coronavirus, OPEP et Russie : la valse à quatre temps – La Tribune
- The Corona Virus Stock Exchange Crash – Daube, Carl Heinz (2020)
- Coronavirus : la BCE et Lagarde sous le feu des critiques – Le Figaro
- Coronavirus : la BCE lance un programme d’urgence de 750 milliards d’euros – Les Echos
- Une analyse des primes de risque ex-ante des actions suivant l’horizon de placement – Georges Prat (2001)
- L’impact de la réglementation bancaire sur le modèle de financement de l’économie – Clémentine Gallès, Olivier Garnier (2015)
- Parlons banque en 30 questions, Jézabel Couppey-Soubeyran, Christophe Nijdam (2014)
- Rapport sur les PME dans la zone Euro – Commission Européenne (2019)
Très bien écrit, mais surtout très clair !
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