Le modèle de l’assurance est souvent perçu comme une source de profit pour l’organisme porteur de risques. Pourtant, le contrat d’assurance, par nature, bénéficie aussi à ceux dont le risque se réalise. Dès lors, peut-on parler d’une forme de solidarité ?
Il n’est pas rare, au sein des sociétés libérales, d’entendre certaines voix s’élever contre un individualisme croissant qui aurait pour conséquence d’éteindre tout lien de solidarité entre les individus. La solidarité s’entend généralement comme la nature de ce qui est lié par des intérêts communs. Pour faire nation, toute société semble donc devoir développer des liens étroits de solidarité.
Au plan politique, de nombreux partis, souvent contestataires, ont fait de la solidarité un pilier de leur vision du monde. Leur postulat réside dans l’incompatibilité de principe entre notre modèle de société et la solidarité. Pour appuyer leurs propos, beaucoup considèrent alors que la solidarité a disparu des sociétés contemporaines. Qui n’a jamais entendu un aïeul se plaindre d’une société égo-centrée, où l’individuel prime désormais sur le collectif ?
Si le ressenti est tel, il est difficilement contestable que la solidarité soit effectivement sortie éprouvée du XXème siècle. La question est vaste : elle interroge aussi bien la sociologie que le droit ou l’économie. Dès lors, un regard mono-disciplinaire sur la solidarité semble nécessairement insuffisant. Il apparaît donc pertinent d’observer ce phénomène et d’expliquer sa perception si négative à travers un prisme empirique.
Par exemple, un mécanisme tel que l’assurance est un marqueur de solidarité. Le contrat d’assurance a pour effet de couvrir son souscripteur contre la survenue d’un risque aléatoire. L’assureur perçoit donc une prime, à intervalles réguliers, et garantit son client lorsque le risque se réalise. L’existence même d’un contrat d’assurance suppose un lien de solidarité. Les deux parties au contrat, à savoir l’assureur et l’assuré, sont animés par un intérêt commun, qui réside dans l’absence de réalisation du risque. Ils sont alors liés par les obligations réciproques qui naissent du contrat.
Cette vision est encore plus évidente dans le champ des sociétés d’assurance mutuelles. Ces entités, qui fonctionnent sans capital social, fournissent une prestation d’assurance dans un cadre non-lucratif. Ces sociétés sont contrôlées par leurs clients : ceux-ci sont donc des sociétaires. Dès lors que les primes perçues s’avèrent être supérieures aux indemnisations versées, les sociétaires se voient rétrocéder la différence. Ce phénomène s’est encore observé début avril, lorsque la MAIF a annoncé redistribuer 100 millions d’euros à ses sociétaires.
Le secteur de l’assurance est omniprésent à l’échelle des sociétés cotées. En 2016 et pour la première fois en France, une société d’assurance enregistre un chiffre d’affaires supérieur à 100 000 000 000 €. Une telle présence, aussi bien chez les particuliers, qui ont l’obligation légale d’assurer leur automobile ou leur habitation, que chez les professionnels, qui assurent leurs risques industriels et leur responsabilité civile, démontre l’importance du mécanisme assurantiel.
Si certains dénoncent ce type de société, elles apparaissent néanmoins irremplaçables dans la stabilité de nos systèmes, au même titre que les sociétés de réassurance sont indispensables aux sociétés d’assurance. En effet, le réassureur, qui n’interagit pas avec l’assuré, a pour fonction de garantir l’assureur contre la survenue d’un risque couvert pour lequel il ne disposerait pas de fonds propres suffisants.
La différence notoire existant entre les sociétés d’assurance et les mutuelles réside donc dans leur rapport au bénéfice : les premières sur-performent dans la gestion d’actifs, maximisant leurs rendements, alors que les secondes redistribuent les trop-perçus. Pourtant, à l’échelle du client, l’assureur fournit la même prestation de garantie contre le risque. On peut donc en déduire que cet intérêt convergent démontre un lien de solidarité. Or, ce lien est tellement institutionnalisé qu’il en devient imperceptible.
En pleine crise épidémique, les nations réalisent qu’elles sont différemment armées pour protéger leur population. Le comparatif s’est avéré fructueux entre les états disposant d’un accès garanti au système de santé, et ceux qui soumettent les soins à des régimes quasi exclusivement privés. Les premiers disposent d’une protection sociale forte qui couvre la santé de leurs citoyens.
Or, la protection sociale, marqueur visible d’une solidarité à l’échelle sociétale, repose elle-aussi sur un mécanisme assurantiel. Les prélèvements obligatoires, prenant la forme de cotisations sociales, s’assimilent alors à la prime d’assurance, et la prestation médicale en est la contrepartie en nature.
Nos sociétés ont donc choisi de faire de la solidarité une question institutionnelle : l’Etat prend en charge certains risques, et des acteurs privés en garantissent d’autres. Ainsi, le lien de solidarité existe toujours et peut même, sur certains aspects, en sortir renforcé. Pourtant, ce lien n’est pas perçu : il est peu évident d’observer la solidarité en lisant les conditions générales d’un contrat d’assurance ou en transmettant une carte vitale à son médecin.
Mais il s’agit bel et bien d’un lien solidaire unissant toutes les composantes de notre société. Dès lors, en ayant conscience de l’imperfection de ces systèmes, il apparaît opportun que chacun adapte sa vision de la solidarité, qui ne doit plus être fantasmée telle la nostalgie d’un temps révolu, mais acceptée comme un fait social institutionnalisé.