Le rapport de force entre les agriculteurs, les industriels de l’agroalimentaires et les distributeurs est depuis de nombreuses années défavorable envers les agriculteurs. En effet, si le secteur agricole pèse près de 76 milliards d’euros avec des acteurs de petites taille, il rivalise difficilement, lorsque viennent les négociations des produits agricoles avec les géants de la grande distribution et de l’industrie agroalimentaires, respectivement 213 et 200 milliards d’euros de chiffre d’affaires (1). Les producteurs ne constituant pas de coopératives en nombre et taille assez conséquentes, ils semblent pour l’instant condamnés à lutter difficilement contre des mastodontes comme Carrefour ou Danone.
Du côté de la littérature économique, la situation entre les producteurs et l’industrie agroalimentaire se réfère à un cas d’oligopsone. Cela signifie un marché composé de nombreux vendeurs, ici les agriculteurs, et de quelques acheteurs importants. L’industrie agroalimentaire dispose d’un pouvoir d’oligopsone vis-à-vis des agriculteurs dans la mesure où ces derniers ne peuvent pas faire systématiquement entrer en concurrence d’autres acheteurs pour exiger des accroissements de prix d’achat.
Dès lors, il paraît souhaitable du point de vue de l’analyse économique de pousser les agriculteurs à développer des coopératives afin de se regrouper et disposer d’un pouvoir de négociation plus important qu’actuellement, ou encore de mettre en place un système de prix d’achat minimum afin de contrer cette situation désavantageuse envers les producteurs.
La loi Egalim
Depuis 2018, la loi Egalim avait pour objectif de désamorcer la guerre des prix et de rétablir une chaîne de valeur équitable, en soutien des agriculteurs. Néanmoins, il y est question de prix de référence, non de prix impératif (2).
Les recommandations sont-elles suffisantes pour amorcer une hausse des prix ?
Pour prendre l’exemple du prix du lait, l’industriel français Lactalis a acheté en 2020 à 37 centimes le litre, tandis que le prix de référence est actuellement à 43 centimes (3). En parallèle, des groupes agroalimentaires, dont Lactalis, ont signé des accords en Février dernier avec les distributeurs Carrefour et Système U pour revaloriser pour la troisième année consécutive le prix du lait (4). Si cette initiative a pour but annoncé de tirer vers le haut la rémunération des producteurs français, ce canal reste indirect et met en avant la question de la fixation de prix directement avec les producteurs de lait.
Ce graphique nous permet d’observer les évolutions récentes du prix moyen du lait payé aux producteurs. Nous pouvons ainsi observer que d’entre 2019 et 2020, les évolutions du prix sont semblables, assez cycliques. Ce qui est intéressant à remarquer, c’est que même sous l’effet des confinements, les prix payés ne descendent sous un certain seuil d’environ 360 euros pour 1000 litres. Cela revient à un prix de 36 centimes le litre. Le prix de référence étant de 43 centimes le litre, on se rend bien compte qu’il n’est pas utilisé par les professionnels du secteur, et ce sur toute la période considérée dans ce graphique. Le marché semble plutôt s’auto-réguler, sans pour autant prendre en compte les recommandations de la loi Egalim. L’obligation semble empiriquement plus pertinente afin d’augmenter les prix et améliorer la situation des producteurs.
Quelles solutions ?
Serge SAPIN, ancien PDG de Système U a effectué un rapport en mars 2021 dans lequel il insiste sur la nécessité pour les agriculteurs de remanier le mécanisme apporté par la loi Egalim, en faisant en sorte que des experts déterminent régulièrement le coût de production, qui s’appliquerait aux acteurs de la distribution et de l’industrie agroalimentaire, ces derniers ne pouvant pas acheter en dessous de ce prix (5).
L’application de ce prix plancher poserait néanmoins la question de l’impact sur le budget alimentaire des français, les prix affichés en rayons pouvant être rehaussés pour combler la perte de marge induite par cette idée. Aussi, si ces prix en magasin venaient à être augmentés, les produits étrangers quant à eux continueront d’être disponibles à leurs prix, diminuant la propension à consommer français.
« Nous ne sortons pas du jeu de dupes entre industriels, distributeurs et producteurs. Pour cela, il faut aller vers la contractualisation pluriannuelle »
Julien Denormandie
En mars dernier, dans un contexte de négociation des prix agricoles, Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation depuis le 6 juillet 2020, a dénoncé le jeu de dupes entre les différents acteurs du secteur agricole. Pour ce dernier, le secteur agroalimentaire et la grande distribution ne jouent pas le jeu des négociations, ce qui lèsent fortement les producteurs. Il reconnaît dans cette même intervention la faiblesse de la loi Egalim, et énonce sa volonté d’aller plus loin dans la transparence et le respect des producteurs agricoles. Par une contractualisation pluriannuelle et une construction du prix basée sur les coûts de production, le ministre aimerait:
- mieux réguler le marché
- obliger les acteurs à plus de transparence
- stabiliser les prix sur une durée supérieure à une année
Cela permettrait d’éviter les négociations trop récurrentes et risquées pour les agriculteurs, qui pourraient par la même occasion se projeter sur une période plus longue qu’actuellement.
La pandémie a marqué en France le retour au premier plan des circuits courts, avec des français qui ont modifié au moins de manière transitoire leur comportement. Si cette tendance se confirme en fin de crise, avec en plus une pression environnementale et écologique qui devrait aller dans le sens des petits producteurs, ces derniers pourraient voir leur situation s’améliorer par rapport aux grands distributeurs.
Sources :
- http://www.fcd.fr/le-secteur/le-commerce-et-la-distribution/
- https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/la-guerre-des-prix-se-fait-sur-le-dos-des-agriculteurs-plus-de-deux-ans-apres
- https://www.franceagrimer.fr/content/download/66150/document/BIL-VIA-LAI-Bilan2020-Perspectives2021.pdf
- http://www.agefi.fr/corporate/actualites/quotidien/20210217/carrefour-systeme-u-nouent-accords-producteurs-315723
- https://www.senat.fr/cra/s20210413/s20210413.pdf