S’il est généralement admis dans le débat public que la hausse des prix du tabac entraîne une diminution du nombre de fumeurs, l’analyse économique nous incite à nuancer ce propos.
La lutte contre le tabagisme est un enjeu de santé publique. Avec 75 000 morts par an (1) en France, le coût économique et social demeure élevé. Selon une étude, la prise en charge des patients malades en raison du tabac coûte 25 milliards d’euros par an (2). À ce coût sanitaire viennent s’ajouter des coûts indirects, comme l’ont souligné les travaux de Pierre Kopp qui mentionnent les coûts externes (nombre de vies perdues par an et perte de production associée) s’élevant au total à 102 milliards d’euros, ainsi que les coûts et recettes pour les finances publiques (14 milliards de dépenses pour 10,3 milliards de recettes) (3).
Pour y remédier, les autorités françaises mènent un combat pour réduire la consommation de tabac. L’augmentation régulière du prix du tabac a été privilégiée par les pouvoirs publics.
Faut-il considérer la hausse des prix comme une mesure efficace et suffisante pour baisser le nombre de fumeurs ?
Un article du Figaro publié en octobre 2019 (4) fournit des éléments de réponse. La consommation de tabac entraîne des externalités négatives (*). Pour les réduire, l’Etat procède à des hausses régulières du prix du tabac. Ces mesures ont vocation à modifier le comportement des consommateurs par l’envoi de ce qu’on appelle un “signal-prix”. Le prix du tabac aurait alors augmenté de 350% entre 1990 et 2018 (4). L’Etat considère ainsi que la demande est une fonction décroissante du prix amenant à ce que « les ventes et les prix évoluent en miroir » (graphique ci-dessous).
Si le prix augmente, la demande globale diminue. Sur la base d’un revenu constant, la consommation de tabac fléchit en raison d’une baisse de la quantité achetée induite par la hausse des prix. Le budget des individus, représentant l’ensemble des paniers de biens accessibles à la consommation pour un système de prix et un revenu donné, se trouve ainsi réduit. Ceci diminue in fine la consommation des fumeurs.
Le calcul de l’élasticité-prix directe, qui mesure l’accroissement de la demande lorsque le prix augmente de 1%, illustre ce mécanisme. En se référant à l’article, on trouve que si le prix progresse de 1% alors la demande diminue de 0,04%. Ce résultat démontre que le tabac reste un bien typique.
Un bien typique (ou ordinaire) désigne le fait qu’à prix constants, la consommation du bien augmente lorsque le revenu augmente. L’effet dissuasif de la hausse des prix semble être avéré. L’article observe par ailleurs que « la stabilité des prix entre 2014 et 2017 s’est accompagnée d’une stagnation des ventes. ». On peut donc affirmer que la hausse des prix du tabac contribue à diminuer le nombre de fumeurs (Graphique ci-dessous).
Cependant, l’augmentation du prix du tabac a ses limites. Cette mesure affecte en premier lieu les ménages à revenus modestes. En effet, les prix de réserves (**) diffèrent en fonction des individus. Les classes aisées ont un prix de réserve supérieur à celui des classes moins favorisées. Elles sont ainsi moins sensibles aux hausses des prix et susceptibles de continuer à fumer en dépit de celles-ci.
De plus, les fumeurs s’orientent davantage vers le tabac à rouler en raison d’un prix plus faible que les cigarettes. On considère alors que le fumeur est indifférent à consommer une cigarette ou du tabac à rouler tant qu’il peut satisfaire son addiction. Ses préférences sont dites linéaires. Elles caractérisent un arbitrage entre deux biens de consommation pour un consommateur qui renonce totalement à l’un des deux biens. Le consommateur ne consommera donc plus que du tabac à rouler en raison d’un prix plus compétitif que celui des cigarettes (Graphique ci-dessous).
Cette situation n’incite pas le fumeur à réduire sa consommation. Son addiction au tabac prend le dessus et il privilégiera une solution moins onéreuse. D’un point de vue purement microéconomique, l’agent adopte une attitude purement rationnelle. Dans ce cas, le prix n’est pas un élément dissuasif puisque les biens sont parfaitement substituables.
Ainsi, la hausse régulière des prix du tabac est un levier pertinent pour réduire la consommation de tabac. Elle ne constitue toutefois pas un remède miracle. Cette stratégie doit être combinée avec d’autres mesures non monétaires telles qu’une meilleure prévention notamment auprès des adolescents. Des campagnes d’information régulières sur les risques du tabac se montrent aussi efficaces.
(*). Une externalité négative est une situation dans laquelle la consommation ou la production d’un agent à une influence négative sur le bien-être d’un autre sans que celle-ci ne soit prise en compte au moment de la transaction.
(**) Le prix de réserve est le prix maximum qu’un consommateur est prêt à payer.
Sources :
- Libération. 4/06/2019. D’où sort le chiffre de 75 000 morts par an dues au tabac en France ? Accessible à : https://www.liberation.fr/checknews/2019/06/04/d-ou-sort-le-chiffre-de-75-000-morts-par-an-dues-au-tabac-en-france_1731312 [consulté le 23/07/2020]
- Allodocteur.fr. 24/03/2016. Tabac : quel coût pour la société ? Accessible à : https://www.allodocteurs.fr/se-soigner/economie-de-la-sante/tabac-quel-cout-pour-la-societe_18993.html [consulté le 23/07/2020]
- Michèle Delaunay. 13/09/2015. Tabac : la vérité du coût pour la société. Accessible à : https://www.michele-delaunay.net/blog/14012 [consulté le 06/08/2020]
- Le Figaro. 31/10/2019. Tabac : la hausse des prix fait-elle vraiment diminuer le nombre de fumeurs ?. Accessible à: https://sante.lefigaro.fr/article/tabac-la-hausse-des-prix-fait-elle-vraiment-diminuer-le-nombre-de-fumeurs/ [consulté le 23/07/2020].
Autres sources :
- Bien, F. et Méritet, S. 2016. Microéconomie : comportement des agents et concurrence parfaite, Pearson.
- Kopp,P. 2015. Le coût social des drogues en France, Note de synthèse de l’OFDT.