Angelina Jolie, George Clooney, Tom Cruise, Ryan Gosling…. Ces noms, connus de tous, sont les produits d’un « star system » hollywoodien. Bien que semblant indissociables de l’industrie du cinéma, ces stars ne déterminent pas en pratique le succès absolu d’un film. Renommée du réalisateur, public touché, franchises… pourraient être conditions au succès.
Habituellement, pour juger du succès d’un film, les journalistes raisonnent en termes de Box-Office, et constituent ainsi un classement par nombre d’entrées. Or, d’après les chiffres de sites spécialisés comme BoxOfficeMojo, les plus gros succès en terme de Box-Office tels que Avatar, Star Wars, Jurassic Park ne sont pas des films avec des stars au casting . Mais alors, comment expliquer l’importance du « star system» à Hollywood ?
D’après l’étude menée par De Vany et Walls à la fin des années 2000 sur deux milles films, il apparaît que le jeu des stars contribue faiblement à améliorer le classement des films au Box-Office. D’une part, cette influence s’exerce principalement lors des premières semaines à l’affiche. Par exemple, à cette époque, les 19 acteurs qui ont une influence sur le Box-Office comprennent par exemple Jodie Foster, Tom Cruise ou Tom Hanks. D’autre part, une étude de Basuroy et ses collègues, publiée en 2003, souligne le fait qu’en cas de critiques négatives, un gros budget et la présence de stars permettent d’améliorer la performance du film au Box-Office. Ce fut le cas pour le film Lara Croft avec Angelina Jolie, où malgré la prédominance de critiques négatives, le film a été premier du Box-Office pendant les premières semaines après sa sortie.
La présence de stars joue un rôle de « signal », en informant les financeurs de la qualité du projet, et en apportant une garantie aux studios et aux producteurs. De la même manière, il n’est pas rare que des acteurs stars eux-mêmes aident à produire des films auxquels ils participent, renforçant encore ce gage de confiance.
Toutefois, le Box-Office reste pour l’industrie hollywoodienne une mesure imparfaite du succès. En effet, ces résultats posent des problèmes méthodologiques divers : inflation du prix des billets, fréquentations des cinémas en baisse. Or ces chiffres du Box-Office correspondent à des recettes perçues par les studios et les cinémas. Ainsi, il apparaît comme plus pertinent de juger le succès d’un film non pas à son score au Box-Office mais sur ses revenus totaux, voire même sa rentabilité. La rentabilité correspond au ratio des coûts engendrés par la production et la distribution du film (gross budget et coûts de marketing) sur les recettes.
Parmi ces recettes, les revenus des studios traditionnels issus de la diffusion en salle du Box-Office par les studios diminuent d’année en année. Ainsi, le succès d’un film ne se limite pas à son exploitation en salle, mais s’évalue sur la décennie suivant la sortie du film, par les produits dérivés et les droits de diffusion (streaming, DVDs, TV…).
Signe de ce bouleversement des tendances, la plateforme de streaming Netflix a rejoint la Motion Picture Association (MPA), une organisation chargée de défendre les intérêts des 6 plus gros studios américains d’Hollywood (à l’exception de Disney). De fait, selon la MPA en 2019, le marché mondial des droits de rediffusion en streaming ou par DVD/Blu-Ray représentait 58,8 Milliards de dollars, un chiffre en constante augmentation ; tandis que les revenus du Box-Office mondial correspondaient à seulement 42,2 Milliards.
D’après une étude menée en 1999 sur 200 films par le professeur Abraham Ravid, si l’on prend en compte les revenus totaux, il semble qu’il n’existe aucun lien statistique significatif entre les revenus totaux des films et la présence d’acteurs stars au casting. En effet, les stars sont de mauvais indicateurs de prévision de rentabilité d’un film puisqu’en demandant des salaires élevés, celles-ci capturent la rente. Pire, il existerait même une « Malédiction de la superstar » : si une star demande un cachet égal au profit attendu, alors le film va sûrement perdre de l’argent. De fait, des films avec des acteurs moins connus, et des budgets moins élevés, tendent à être plus rentables que des films à gros budgets ou comprenant des stars au casting. Pour preuve le film d’horreur Paranormal Activity, qui est considéré comme le film le plus rentable de l’histoire avec un retour sur investissement de 1 289 000 %.
Dans un marché marqué par l’incertitude, les studios peuvent jouer sur différents déterminants : le casting, le budget, la définition du marché cible. Puisque les acteurs stars n’ont que des effets limités sur les recettes d’un film, qu’en est-il des autres variables ?
D’une part, la même étude de Ravid souligne que plus un film reçoit une couverture médiatique, plus la probabilité qu’il soit un succès commercial est élevée. Le dernier film du réalisateur Roman Polanski, J’accuse en fournit un exemple éclatant, puisque les nombreuses polémiques entourant le réalisateur ont sans doute contribué à en faire premier au box-office français pendant la première semaine de sa sortie. D’autre part, l’étude de Basuroy et ses collègues souligne que les critiques, négatives comme positives, jouent un rôle de prescripteurs. Elles influencent et prédisent les résultats au Box-office. Néanmoins, les films souffrent d’un biais négatif : les critiques négatives influencent plus le Box-Office que les critiques positives.
Ensuite, il apparaît que le fait d’être nominé à un festival de cinéma renommé, comme les Oscars, peut avoir un impact considérable sur les revenus générés par le film, même si celui-ci ne remporte pas de prix. Dans le cas des films indépendants d’arts et d’essai, le fait de remporter la Palme d’or à Cannes par exemple peut se révéler déterminant, puisque le film sera alors distribué plus longtemps et dans plus de salles.
Enfin, le genre du film est à prendre en compte, un film familial accessible à tout public ayant tendance à être plus rentable, en raison de la segmentation marketing opérée par les studios. La définition d’un marché cible pour le produit correspond à cette segmentation marketing. Ainsi, un film capable de toucher une audience large a plus de chance d’être rentable, comme ce fut le cas par exemple du film E.T. l’extraterrestre de Steven Spielberg, qui touche à la fois un public enfant et adulte.
De plus, les franchises (séquelles, trilogie et séries) ont considérablement plus de succès que les films seuls, qu’il s’agisse du nombre de tickets de cinéma vendus, des revenus de diffusion mais aussi des produits dérivés (« merchandising »). Ces franchises, comme Harry Potter, Avengers et Star Wars, sur lesquelles repose aussi le modèle stratégique de Disney, permet de rentabiliser des films à travers les nombreux produits dérivés qui bénéficient d’économie de champ. Après le premier film, les personnages et l’univers deviennent familiers au grand public, ce qui évite d’avoir à réintroduire de nouveaux enjeux, et permet de fidéliser l’audience.
Par ailleurs, les réalisateurs peuvent eux aussi être considéré comme des stars, puisqu’ils peuvent avoir une influence positive sur les recettes, leur filmographie constituant un « signal » de qualité. Il est aussi possible de considérer que certains studios internationalement reconnu à la fois par les producteurs et par le grand public, comme par exemple les studios Ghibli ou Pixar (Disney), peuvent constituer une marque familière pour le public.
L’industrie hollywoodienne constitue un marché fortement capitalistique, avec des coûts importants de production et de communication (« print and advertising »). De plus, les films étant des produits culturels, il est complexe d’évaluer la segmentation marketing, et par là le public cible, uniquement à partir d’un script, du casting, de l’équipe technique et du budget.
Ainsi, Harold L.Vogel, auteur du livre Entertainment Industry Economics : a Guide for Financial Analysis, estime qu’environ 5% des films perçoivent à peu près 80% des profits totaux de l’industrie hollywoodienne. Parce que la volonté artistique s’accommode souvent mal des contraintes budgétaires, les dépassements budgétaires sont fréquents et la grande majorité des films hollywoodiens ne sont pas rentables. Ce qui explique que des films à grand succès au Box -Office comme le Retour du Jedi de la série Star Wars ou Harry Potter et l’Ordre du Phénix aient pu être considérés comme déficitaires par les studios.
Ainsi, la star ultime est bien le film lui-même, car c’est le public, qu’il aille au cinéma, voit le film en VOD ou achète des produits dérivés, qui fait principalement le succès commercial du film. Il est quasiment impossible pour un studio de prévoir à l’avance si son produit sera rentable non, et encore moins de se reposer sur un déterminant individuel, de quoi porter atteinte à l’ego surdimensionné de nos stars bien aimées !
Sources :
- Ravid, S. Abraham. “Information, Blockbusters, and Stars: A Study of the Film Industry.” The Journal of Business, vol. 72, no. 4, 1999, pp. 463–492.
- Basuroy, Suman; Chatterjee, Subimal; S. Abraham Ravid. « How Critical Are Critical Reviews? The Box Office Effects of Film Critics, Star Power, and Budgets» Journal of Marketing; Chicago Vol. 67, N° 4, (Oct 2003): 103-117.
- De Vany, A., & Walls, W. D. (1999). « Uncertainty in the movie industry: Does star power reduce the terror of the box office? » Journal of Cultural Economics, 23(4), 285-318.
- Vogel, Harold L. Entertainment Industry Economics : a Guide for Financial Analysis Cambridge University Press: Cambridge, 8th Edition, 2011