Cette semaine nous traitons l’annonce par Emmanuel Macron d’investir massivement dans le nucléaire, le scandale des EHPAD Orpea, et l’action de la BCE face à l’inflation actuelle. Bonne lecture !
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Comment financer la relance de la filière nucléaire ?
Lorsqu’Emmanuel Macron a annoncé, jeudi 10 février, à Belfort, la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires existantes et la construction d’au moins six EPR 2, la question du financement a été esquivée, le président indiquant seulement un ordre de grandeur de « plusieurs dizaines de milliards d’euros ».
Les estimations provisoires sont comprises entre 46 milliards et 64 milliards d’euros pour les six premiers chantiers de réacteurs. Or, au regard de l’endettement de 41 milliards d’euros d’EDF, celle-ci peut difficilement avoir recours à des emprunts ou à de l’autofinancement, lorsque l’entreprise assurait la construction du parc nucléaire français.
En janvier, la banque américaine JPMorgan conseillait une recapitalisation, pour à la fois garantir l’entretien d’un parc vieillissant – et donc caractérisé par un coût d’entretien croissant – et envisager de nouvelles installations.
L’entreprise mise sur une intervention de l’Etat (actionnaire majoritaire), « soit directement, soit à travers des garanties ». La possibilité que des entreprises privées interviennent fait débat : si le chantier commençait dès à présent, il serait en état de fonctionner d’ici quinze ans, un délai trop important, à priori, pour investir des capitaux privés, du fait d’un horizon de rentabilité trop éloigné.
Plus la participation de l’Etat au projet sera élevée, plus le taux d’emprunt sera faible auprès des institutions financières, et donc plus le coût final pour EDF diminuera.
Politique monétaire, marchés financiers
Orpea: les dilemmes des investisseurs, les questions sur les notations extra-financières et critères ESG
Suite à la publication conjointe le 24 janvier d’un article dans Médiapart et de l’enquête Les Fossoyeurs, par Victor Castanet, le groupe Orpea est dans la tourmente. Depuis le 6 janvier, l’action de ce groupe spécialisé dans l’hébergement de personnes âgées dans des Ehpad privés, maisons de retraite et cliniques de soins a perdu 51.97 €, soit une perte de 60,66% de sa cotation. Au lendemain des publications, le cours perdait déjà 16% et la chute se poursuit depuis. Au-delà du scandale, cette situation soulève des questions quant à la crédibilité des notations extra-financières, mais aussi des stratégies des investisseurs.
Tout d’abord, le constat est accablant pour les agences de notation. Ce sont des agences d’analystes, publiant des notes et évaluations sur les entreprises selon certains critères. Elles contribuent alors aux décisions d’investissements des gestionnaires d’actifs. Or quand il s’agit de l’évaluation des facteurs ESG (Environnement, Social et Gouvernance), qui sont censés orienter les investisseurs vers des placements durables, les mauvaises évaluations s’enchaînent. Que ce soit les fraudes aux contrôles de pollution chez Volkswagen et maintenant les révélations accablantes contre Orpea, jamais les notations n’ont su refléter ces réalités et fraudes.
Pire encore, Orpea a toujours été présenté comme un leader en matière d’ISR (investissement socialement responsable) : souvent placé dans les têtes de liste de nombreux fonds certifiés ISR. L’effondrement des valeurs Orpéa sur le marché pose donc la question de la crédibilité des notations extra-financières, des informations fournies et de la fiabilité de la structure de l’investissement socialement responsable.
Il est cependant notable que les agences notent des milliers de sociétés, ce qu’aucun autre spécialiste ne réalise : elles ne peuvent alors se permettre de vérifier et enquêter sur toutes les informations qu’elles reçoivent. Il faut aussi préciser qu’il n’existe aucune norme internationale permettant de réaliser des mesures uniformes des risques ESG. Le scandale interroge alors sur les questions du perfectionnement et de l’organisation de ces systèmes de notation, alors que la question de l’investissement responsable oriente de plus en plus les marchés boursiers et l’économie.
La descente aux enfers des cours d’Orpea s’accompagne aussi d’une effervescence des marchés financiers. De nombreux investisseurs s’interrogent quant au comportement à adopter, notamment les fonds ESG. Plusieurs d’entre eux (comme Silver Age ISR) ont choisi de vendre leurs actions en témoignant de leur perte de confiance dans le groupe Orpea, alors qu’une autre partie décide de conserver leur parts : le secteur demeurant l’un des plus prometteurs. En effet, la “silver economy” (les marchés bénéficiant du vieillissement de la population) ne cesse de s’épanouir. En outre, des hedge funds entrent dans la danse. Ces fonds surtout anglo-saxons parient sur la chute des cours de la société : prenant des positions de vendeur à terme. Le fond Marshall Wace souhaite notamment faire un exemple, en punissant les sociétés non-vertueuses vis-à-vis des critères ESG, en vendant à découvert les actions Orpea.
Tout cela montre comment les marchés demeurent sensibles aux questions de confiance et transparence, mais sont aussi de plus en plus exigeant en matière de respect de l’environnement ou encore des droits sociaux. Même si les contre-exemples, le greenwashing et les scandales prolifèrent. En effet, les gestionnaires d’actifs et investisseurs gardent toujours en tête que le but primaire de leur placement est la couverture ou l’accroissement de la valeur placée.
Ainsi, l’affaire Orpea peut aussi constituer le point de départ de plusieurs réflexions sur le fonctionnement actuel des marchés financiers et leurs orientations.
Cotation en euro de l’action Orpea, à 33.71€ le 4 février. (Source : La Tribune)
Le casse-tête du resserrement monétaire et la prudence sur les marchés financiers
“Nous pouvons maintenant ajuster – calmement, étape par étape – nos instruments de politique monétaire. Et quand les données économiques le permettront, nous le ferons” a déclaré jeudi Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne.
C’était une annonce très attendue par les sphères financières et économiques : après les déclarations de la FED, puis de la Banque d’Angleterre, quelle serait la prise de position de la BCE ? Plus douce que ses homologues britannique et américaine, la BCE préfère maintenir ses taux inchangés, comme promis depuis décembre. Pour autant, elle signale bien que les niveaux d’inflations sont inquiétants. Ainsi, la hausse des taux n’est plus exclue à l’avenir, même si ce n’est pas l’outil privilégié.
L’inflation a atteint 5.1% en zone euro, un chiffre bien supérieur à l’objectif de 2% à moyen terme prévu par son mandat. Aux Etats-Unis, elle est autour de 7.5% pour l’an passé, la plus forte hausse depuis 1982. Cette inflation menace la consommation : elle grignote le pouvoir d’achat. Elle fait aussi monter l’inquiétude, pouvant amener les individus à épargner plus : ceux-ci pouvant repousser une part de leur consommation à quand les prix seront moins élevés. Dès lors, elle est un danger pour la reprise et la croissance. Le casse-tête venant notamment du fait que c’est cette croissance même qui alimente l’inflation : la consommation, la demande de matière première, les flux tendus d’approvisionnements contribuent à faire grimper les prix. Ainsi, la BCE répond que pour lutter face à la hausse des prix, l’outil privilégié va être la réduction graduelle des programmes d’achats d’actifs des banques centrales européennes.
Cependant, la hausse des taux « ne résoudrait aucun des problèmes actuels » selon la présidente de la BCE. En effet, cela pourrait secouer violemment les marchés, tout en tuant la reprise, la croissance et les emplois. Les effets seraient alors contre productifs, la BCE privilégie donc des ajustements graduels. D’autant plus que les économies demeurent vulnérables : toujours minées par la pandémie et des problèmes d’approvisionnements. Pour autant, la Banque d’Angleterre et la réserve fédérale américaine ont quant à elles privilégié la lutte contre l’inflation, annonçant très clairement depuis plusieurs semaines que des hausses de taux auront lieu en 2022.
La FED est d’ailleurs particulièrement inquiète au sujet de l’inflation. Jerome Powell refuse de donner des précisions sur les valeurs des hausses des taux, afin de conserver un large panel de choix. En général, la FED relève ses taux d’un quart de point de pourcentage (0.25). Cependant, face à l’inflation actuelle, certains membres du conseil des gouverneurs de la FED sont en faveur d’une hausse de 0.5 point de pourcentage. La Banque d’Angleterre a quant à elle franchi le pas et établi une nouvelle hausse à 0.5%.
Cette divergence entre la FED, la BoE (Bank of England) et la BCE illustre bien l’équilibre complexe que les banquiers centraux doivent parvenir à trouver actuellement : faire baisser des niveaux d’inflation records sans peser lourdement sur l’emploi. A tout cela, il faut ajouter le fait que la croissance sera probablement plus faible en 2021, la Banque mondiale abaissant sa projection de croissance pour les Etats-Unis de 5.6% à 3.7% en 2022, en lien avec le resserrement monétaire annoncé par les banques centrales.
Ces annonces de hausses des taux et du ralentissement de la croissance, couplées aux tensions en Ukraine ont rappelé que l’euphorie de 2021 est belle et bien terminée. La situation a changé et les marchés sont marqués par la prudence. Par exemple, les bourses européennes ont terminé la semaine sur une légère baisse. Le CAC 40 a fini en repli de 1,27% vendredi, à 7.011,6 points, même s’il enregistre une progression d’environ 0.86% sur la semaine. Les bourses sont secouées par les craintes du resserrement monétaire, mais aussi par les conséquences sur les prix de l’énergie provenant des tensions autour de l’Ukraine. Les marchés demeurent ainsi en attente des différentes valeurs des hausses des taux directeurs, les premières étant attendues pour mars.
En bref :
- Le CAC 40 a fermé à 6951,38 points le 5 février 2022, enregistrant une baisse de -0,68%depuis le 23 janvier 2022.
- Le S&P 500 INDEX a fermé à 4 500,53 points le 5 février 2022, enregistrant une baisse de -0,33% depuis le 23 janvier 2022.
- L’EURO STOXX 50 a fermé à 4 086,58 points le 5 février 2022, enregistrant une baisse de -2,11% depuis le 23 janvier 2022.
- Le DEU Benchmark 10 ans s’élevait à 0,181% le 5 février 2022, enregistrant une hausse de 21 points de base depuis le 23 janvier 2022.
- Le USA Benchmark 10 ans s’élevait à 1,874% le 5 février 2022, enregistrant une hausse de +4,9 points de base depuis le 23 janvier 2022.