Alors que les revendications écologistes prônant la neutralité carbone et que les accords internationaux sur les réductions de gaz à effet de serre se multiplient, le nucléaire divise plus que jamais. Pourtant, son utilisation semble indispensable à une transition énergétique durable, à la fois en tant que complément aux énergies renouvelables, mais également pour son faible coût.
L’Union Européenne, mue par des ambitions écologiques, est sur la voie pour devenir pionnière d’une politique verte internationale. Le Green Deal, annoncé en Janvier 2020 par la Commission, dont l’objectif est d’« être le premier continent neutre pour le climat » (1), renouvelle la coopération européenne. En termes de production énergétique, l’Europe se scinde en deux camps. Les pays du Nord Est, du fait de leur dotation naturelle en charbon, ont un mix énergétique (*) majoritairement minier et gazier. D’autres comme la France, qui dès les années 70 investit massivement dans son parc nucléaire, ont un mix énergétique à dominante nucléaire. Bruxelles annonçait dans les mêmes temps que le Green Deal, que « le nucléaire sera exclu des fonds pour la transition climatique » (2). Pourtant, la trajectoire Française à dominante nucléaire semble dans un premier temps la plus cohérente à suivre pour atteindre la neutralité carbone.
En effet, avec une diminution de 4.2% des émissions de gaz à effet de serre (GES) en 2018 (3), la France semble être sur la bonne voie pour honorer sa promesse d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Elle est le pays européen le moins émetteur de CO2, derrière la Suède. Cette performance est expliquée par un mix énergétique optimisé, avec d’une part l’utilisation croissante d’énergies renouvelables (ER), mais aussi une grande disponibilité des centrales nucléaires sur la période.
Pourtant, malgré des résultats satisfaisants en termes de transition énergétique, l’utilisation massive du nucléaire fait débat. Il faut dire que plusieurs accusations le portent à tort. D’une part, les menaces sanitaires causées par les centrales comme la gestion des déchets toxiques, et l’ombre de catastrophes industrielles telles que Fukushima et Tchernobyl. D’autre part, l’obsolescence des parcs avec l’intermittence des centrales nucléaires exigée par l’indisponibilité programmée des maintenances, et la gestion de la dégradation des infrastructures avec le temps. Les inquiétudes semblent justifiées, et pourtant, le nucléaire nous permet de pérenniser l’objectif d’une production d’énergie décarbonée à bas coût.
L’intermittence des énergies renouvelables
À court terme, les ER (éolien, solaire, bioénergies, hydraulique) ne peuvent pas se substituer totalement aux énergies fossiles (charbon, gaz, nucléaire) dans la production d’électricité. Intrinsèquement, elles ne sont pas assez flexibles (****) pour répondre aux variations de la demande (***), et leur production est beaucoup trop volatile pour être fiable. Elles peuvent être utilisées en complément d’une énergie fossile, un back up, permettant d’amortir les variabilités.
Seuls les secteurs pilotables à distance, les énergies fossiles donc, permettent une production d’électricité calquée sur les variations de la demande. Avec une hausse de la demande aux mois d’hiver et un creux durant les mois d’été, on constate que l’évolution de la production des différents secteurs renouvelables évolue indépendamment de la tendance du marché. Les ER sont rigides du fait de leur sensibilité aux aléas naturels. Ainsi, les variations de la production sont indépendantes de la tendance du marché, ce qui exclut toute possibilité d’un mix énergétique sans énergie fossile.
En effet, le taux de couverture de la consommation par la production éolienne a cru sur la période janvier 2012 à septembre 2019, avec une couverture de 5.2% en novembre 2016, 5.4% en novembre 2017, 6.6% en novembre 2018, et 8% en novembre 2019 (4). Malgré cette hausse de la part de l’éolien dans la couverture de la consommation, la très grande variabilité de la production éolienne est frappante. Comment compter sur un moyen de production énergétique, dont la part dans la production totale oscille entre 0.8% et 25.8% sur un même mois ? (4) De la même manière, la production d’énergie solaire est caractérisée par une composante saisonnière très forte, avec des pics de production durant les mois d’étés, là où la demande est la plus faible.
De fait, l’utilisation des énergies propres dans la production d’électricité doit être complétée par des stocks ou un back up, c’est-à-dire un supplétif qui prend le relais de la production lorsque celle-ci n’est pas suffisante pour répondre à la demande. La source d’énergie back up doit être souple et réactive, car sa production doit s’adapter à court-terme, ce dont seule une énergie fossile est capable. Or, puisque l’utilisation des ER nécessite un complément en énergie fossile, le nucléaire est, en termes d’émissions de CO2 par kWh produit, le complément le plus cohérent pour soutenir une production décarbonée. En effet, pour un kWh produit, l’énergie nucléaire émet 12g de CO2, tandis que le charbon émet pour la même quantité produite environ 820g de CO2 (6).
De l’électricité en quantité et à moindre coût
Pour effectuer une comparaison objective entre le coût du nucléaire et les ER, il ne suffit pas de rapporter le coût de l’infrastructure à sa production énergétique. Il faut inclure les caractéristiques propres à chacun de ces secteurs, ce qui induit quelques approximations, à savoir l’intermittence des secteurs, mais aussi la gestion des déchets et des infrastructures obsolètes. Également, pour le cas nucléaire, sur le long terme, il faut inclure au coût le risque d’accident et la toxicité des déchets, dont l’impact sur la biodiversité est inestimable.
Le coût de production du nucléaire est évalué en 2016 à 50 euros par MWh, selon la Cour des comptes (7). On comptabilise le loyer économique, les dépenses d’exploitation, de maintenance, de gestion des déchets et de démantèlement. Mais cette estimation est approximative, du fait de l’intermittence des centrales, aux maintenances et à l’indisponibilité occasionnée. En effet, comme le coût de production du nucléaire est surtout un coût fixe, la disponibilité des centrales détermine lourdement les coûts de production. Plus elles sont disponibles, plus elles produisent de Wh pour un coût fixe donné, et plus le coût de production par MWh diminue.
Le surplus de production d’électricité permis en partie par le nucléaire permet à la France d’alimenter l’Europe en énergie décarbonée. Elle est en effet le premier pays exportateur d’électricité d’Europe, avec un solde de 60,2 TWh en 2018 (8).
À titre de comparaison, en 2016, le coût de production de l’éolien offshore vaut 145 euros par MWh, et celui de l’éolien onshore s’établit à 57 euros par MWh. Quant au photovoltaïque, le coût de production est égal à 74 euros par MWh. De la même manière que pour le nucléaire, les ER, du fait de leur sensibilité aux aléas naturels sont parfois indisponibles, ce qui induit sur le coût de production effectif.
Il est donc insensé, pour comparer l’efficacité de ces différents secteurs, de mettre en rapport les prix d’un MWh intermittent, extrêmement sensible aux aléas naturels, au prix d’un MWh programmable. Une des principales caractéristiques des ER est la très forte variabilité de leur production d’électricité. À l’inverse, le nucléaire répond aux variations de la demande lorsque seules les ER ne peuvent y répondre.
Evaluation de la facture énergétique
Il convient cependant d’évaluer la facture d’électricité des pays où l’on augmente la capacité des ER. Bien que les ER puissent à long terme se substituer totalement aux énergies pilotables (**), la capacité installée n’y change rien à court terme, et ne contribue de fait qu’à augmenter la facture énergétique.
Admettons que les énergies pilotables produisent ce que produisent les ER, ce dont elles sont en puissance en termes de capacité installée. Comme le coût fixe des centrales reste inchangé, peu importe les MWh produits, la facture reste la même, que l’on produise ou non. Raisonnons alors en termes de coût variable. Le coût variable du nucléaire inclut le combustible et la dégradation de l’infrastructure. Or, le facteur dégradation de l’infrastructure, que l’on peut définir comme le coût d’amortissement servant à remplacer le capital usé en t+n, est négatif dans le cas du nucléaire. En effet, diminuer la puissance du réacteur l’use plus que de produire selon la même puissance.
Le coût total de la production électrique avec un mix énergétique incluant les ER suivra la formule suivante : coût fixe pilotable + coût fixe renouvelable. En excluant les ER, on a la formule : coût fixe pilotable + coût variable pilotable.
Rappelons que le coût de production du nucléaire vaut 50 euros/MWh, contre 57 euros/MWh pour l’éolien onshore. Le coût variable du nucléaire s’établit à 6 euros/MWh en 2013 selon la Cour des comptes (9).
Cela signifie que pour 1 MWh produit par une ER, les Français paient 51 euros de plus qu’ils n’auraient eu à payer pour une même quantité produite par une énergie pilotable (**).
En 2018, 27,8 TWh ont été produits par l’énergie éolienne (10). En excluant de notre calcul les coûts agrégés, allégeant de fait la facture, cela coûte aux Français 1,4 milliards d’euros de plus que si l’électricité avait été produite par le nucléaire.
Ainsi, exclure le nucléaire de la transition énergétique, c’est, à court terme, y substituer une énergie pilotable polluante, en contraire avec le projet de neutralité carbone. C’est également rendre l’électricité plus chère, en augmentant la capacité des ER. À terme donc, pour atteindre l’objectif de la neutralité carbone, le mix énergétique optimal devra être diversifié, afin que les faiblesses des différents secteurs énergétiques, renouvelables et pilotables, s’inter-compensent.
Astérisques :
(*) Mix énergétique : composition de la production d’électricité d’un pays selon les différents secteurs d’énergie.
(**) Energie pilotable : énergie dont on peut maîtriser la production sur demande et à distance.
(***) Demande : quantité d’un bien consommée par des agents économiques pour un prix donné.
(****) Flexibilité : capacité de réactivité d’un moyen de production à s’adapter à la conjoncture du marché. Si la demande est élevée, on est capable de produire plus.
Sources :
(1) https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/european-green-deal_fr
(3) https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/baisse-42-des-emissions-gaz-effet-serre-france-en-2018
(4) https://www.rte-france.com/sites/default/files/rte-mensuel-electricite-novembre_1.pdf
(5) https://www.edf.fr/groupe-edf/producteur-industriel/nucleaire/atouts/emissions-de-co-sub-2-sub
(6) https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/ipcc_wg3_ar5_annex-iii.pdf
(7) https://prix-elec.com/energie/production
(8) https://www.lemonde.fr/blog/huet/2019/02/08/en-2018-electricite-decarbonee-et-exportee/