Le SPAC est un véhicule financier introduit en bourse permettant à des gérants d’absorber une entité cotée ciblée à partir d’un plan d’action transmis à des investisseurs ad hoc.
Les Special Purpose Acquisition Companies (SPACs) ont permis de lever plus de 83 milliards de dollars en 2020 aux États-Unis, plus que les introductions boursières (IPOs) classiques. Sur les trois premiers mois de 2021, 95 milliards ont été investis dans ces véhicules. Un SPAC est une entreprise sans opérations commerciales créée exclusivement afin de lever des capitaux propres à travers une IPO dans le but d’acquérir une entreprise existante (1) (ou de fusionner). Elles ne détiennent pas d’actifs immobilisés ab initio, possédant seulement la trésorerie apportée par la levée de fonds, et sont amenées à détenir à terme uniquement des immobilisations financières (les titres de ou des sociétés acquises) sauf dans le cadre d’une fusion dont le SPAC serait l’entité absorbante. Si ces véhicules semblent récents, ils existent depuis plusieurs décennies. Ce type de véhicule a été créé par David Nussbaum en 1993. Historiquement, les levées de capitaux avoisinaient moins de 100 millions de dollars. Avec le fort développement actuel, les soultes levées sont en moyenne de 380 millions de dollars sur le marché américain (2). Ces véhicules financiers à présent plébiscités après 30 ans d’existence notamment sur le marché nord américain et bientôt sur le marché européen soulèvent des questions quant à l’évolution des marchés d’actions, la régulation et la réglementation de véhicules purement financiers et le développement de solutions de financement.
- Caractérisation d’un Special Purpose Acquisition Company (SPAC)
Les SPACs sont des outils financiers dont la spécificité réside dans la création d’une entreprise sous la forme d’une coquille vide (d’où l’expression blank check ou empty shell outre-Atlantique). Le but est d’acquérir une entité déjà existante et ayant une activité opérationnelle (industrielle ou technologique par exemple) et n’étant pas cotée. Ces coquilles vides sont ensuite introduites en bourse, ce qui est aisé du fait de l’absence d’activité, cette composante permettant d’être soumis à peu de réglementations (notamment les audits sur le produit proposé et ses maillons industriels). Lors de l’introduction en bourse, aucune activité n’a démarré, ni même la recherche de cible potentielle en général. Le but premier de ce véhicule est de bénéficier de suffisamment de fonds lors de la levée afin de définir clairement les ambitions d’acquisitions. Les investisseurs sont variables et peuvent être des fonds de private equity (fonds de capital-investissement évoluant sur le marché des actions non-cotées), des institutionnels ou le grand public. Les SPACs ont deux ans pour réaliser l’acquisition d’une cible, sinon les fonds sont rendus aux investisseurs.
Fonctionnement du SPAC et temporalité – PwC.com
Le véhicule sera initialement créé par des investisseurs ou sponsors ayant une expertise dans une industrie ou un secteur d’activité particulier avec l’intention de réaliser des transactions dans ces domaines. Si les cibles potentielles peuvent être étudiées à l’avance, elles ne sont jamais dévoilées durant l’IPO. En effet, une telle annonce provoquerait des mouvements de cours importants et menacerait d’entrée de jeu l’opération. De plus, un projet de fusion-acquisitions (Mergers & Acquisitions – M&A) a besoin de confidentialité pour se structurer, c’est d’ailleurs dans ce cadre que des accords de confidentialité (Non-Disclosures Agreement – NDA) sont signés en amont du processus, souvent avant même l’envoi d’une première lettre d’intention. La notion de blank check companies pour désigner les SPACs prend ses racines dans la nature de l’asymétrie d’information pour les investisseurs. Ces derniers ne connaissent pas à l’avance l’entreprise dans laquelle ils vont investir in fine. Les fonds levés lors de l’IPO sont placés sur des comptes de type “trusts” (fiducie anglo-saxonne) portant intérêts. Ils sont alors bloqués et ne peuvent être utilisés que lors d’une acquisition ou lors d’une restitution aux investisseurs. Les intérêts générés durant le placement, c’est-à-dire avant l’acquisition, pourront être utilisés comme fonds de roulement une fois la cible acquise. En général, une norme de 2 ans est appliquée pour réaliser une opération M&A ou se porter en liquidation. In fine, lorsque la transaction est finalisée, le SPAC est cotée (en raison de l’IPO) sur le marché action de référence.
- Engouement pour les SPACs et leurs avantages.
Après trente ans d’activité plutôt faible eu égard à l’activité du marché boursier, les SPACs ont fait un retour surprenant depuis peu d’années. En trois ans, les volumes d’introduction ont explosé. On dénombre actuellement 5 introductions de véhicules par jour sur le marché américain. En valeur également, puisque 83 milliards de dollars ont été levés en 2020 lorsque 95 milliards l’ont été pour les trois premiers mois de 2021 (3). Cela peut pour partie s’expliquer par l’engouement des IPOs de nombreuses entreprises technologiques notamment les start-ups en phase de scaling, qui souhaitent bénéficier des avantages de SPACs (diminution de l’asymétrie d’information quant à la levée de fonds, soutien d’investisseurs généralement experts dans le domaine, phase de scaling financier davantage balisé, etc.).
Parce que les SPACs impliquent souvent une nécessité de notoriété ab initio, ils sont bien souvent créés par des fonds de private equity connus ou par des personnalités. A titre d’exemple, l’une des opérations les plus connues en France est un véhicule créé par Xavier Niel (fondateur de Free), Pierre-Antoine Capton (3 oeil production) et Matthieu Pigasse (Lazard) avec Mediawan (4). Ce dernier fut introduit en bourse le 22 avril 2016 (Euronext Paris) après une première levée de fonds de 250 millions d’euros. Le but étant de réaliser l’acquisition d’une ou plusieurs entreprises dans le domaine des médias traditionnels et digitaux ou dans le secteur du divertissement en Europe. Le 30 janvier, le véhicule annonça être entré en négociations exclusives avec Groupe AB (groupe audiovisuel français). Le 31 mars 2017, l’entreprise fut rachetée pour 280 millions d’euros grâce aux premiers tickets d’entrée de 250 millions d’euros et au surplus généré par l’IPO. Après plusieurs autres acquisitions dans le même domaine afin de développer un groupe multimédia d’envergure, les fondateurs se sont alliés avec deux fonds de private equity, MACSF et KKR afin de créer une holding Mediawan Alliance et de racheter Mediawan. La prise de contrôle se porte à 85%. Une offre de retrait obligatoire en décembre 2020 permet de compléter le rachat des titres restants et de sortir de la cotation Euronext.
Ce que l’on peut retenir de l’exemple précédent, ce sont des avantages tels que :
- Le SPAC permet d’entrer sur le marché boursier afin de lever des fonds sur la base de profils d’entrepreneurs, de fonds reconnus ou encore de célébrités. Cela permet de lever des fonds sur le marché action sans proposer directement un réel business plan (d’où l’expression de chèque en blanc).
- L’IPO est bien souvent complémentaire à des premiers tickets d’entrée de Limited Partners (LPs) qui apportent des fonds ab initio. Si la levée de fonds réussi, cela permet de disposer de projets ambitieux d’acquisition et de disposer d’une force de frappe conséquente afin de développer un nouveau marché ou de prendre une position dans un secteur particulier.
- Les réglementations sont faibles actuellement en matière d’introduction de SPAC, puisqu’il n’existe justement pas d’activité opérationnelle particulière, mais uniquement des promesses. C’est la raison pour laquelle la Securities and Exchange Commission (SEC) réfléchit aux législations qui pourraient être applicables sur les marchés américains (cf. (3)).
- Un SPAC permet de réaliser l’IPO d’une entreprise en contournant partiellement la réglementation en vigueur sur une activité (certains domaines, par exemple, le bancaire ou l’assurance n’admettent pas vraiment cette dimension). En effet, une fois l’acquisition réalisée par le véhicule déjà coté, l’entité acquise transfère pleinement son activité et son patrimoine sous l’entité via une absorption et admet la production de l’absorbée comme activité principale.
Un autre élément que l’on peut retenir est le lien qu’entretiennent les SPACs entre le private equity (capital-investissement dans des sociétés à capitaux privés, donc non-cotés) et le public equity (capitaux publics donc côtés sur le marché action comme Euronext Paris). En effet, des General Partners (GPs – gérant de fonds de private equity) tendent à réaliser ces véhicules, ce qui pose un potentiel conflit pour les LPs qui souhaitent placer leurs tickets en capitaux privés qui voient leur investissement se développer in fine en capitaux publics. L’avantage réside dans l’amélioration de la liquidité des titres. Les fonds de capital-investissement doivent réussir leur exit afin de récolter les fruits de leur travail (en moyenne 2 ans de levées de fonds, 1 à 3 ans d’acquisitions d’entreprises en capitaux privés, 5 à 8 ans de gestion de participations, 2 à 4 ans de sortie) puisque c’est le moment où ils doivent percevoir le carried interest le plus conséquent (part des bénéfices de l’investissement). Or, pour réussir un exit, il faut pouvoir vendre les titres et la liquidité (la capacité de les vendre aisément) est une des condition qui peut jouer favorablement ou défavorablement dans la revente.
Enfin, les SPACs, en contournant le processus d’IPO traditionnel d’une entreprise, permettent d’une part de jouer sur le prix, d’autre part sur la temporalité. D’un côté, il s’agit d’obtenir un prix fixe pour les vendeurs de titres. En effet, lorsqu’une entreprise s’introduit en bourse, elle ne connaît pas la valeur des fonds qu’elle va recevoir puisque cela dépendra de l’engouement du marché. Par définition, une IPO se réalise en six mois, or le marché peut largement évoluer durant cette période et génère un facteur d’incertitude. Le véhicule propose un prix fixe lors de l’acquisition puisqu’il s’agit d’un seul investisseur. Cela permet ainsi d’être certain des liquidités reçues. D’un autre côté, la valorisation du prix d’introduction passant à une relation de gré-à-gré permet de bénéficier d’une fast track IPO, ce qui diminue les incertitudes du marché (une introduction dans un contexte positif comme en décembre 2019 où l’indice CAC40 s’élevait à environ 6000 points est sensiblement différente qu’une introduction en avril 2019 où l’indice s’élevait à environ 3800 points dans un contexte profondément récessif).
- Les inconvénients de ce véhicule : évaluation de la rationalité, législation et conséquences pour les investisseurs.
La promotion des SPACs s’effectue sur la base de la notoriété de certains investisseurs préliminaires ou des gérants. Or, certains véhicules peuvent souligner l’irrationalité du marché boursier.
Pour commencer, il s’agit de se baser sur une promesse située dans un investment prospectus alors même qu’aucun business model n’est pas prévu et que l’on ne connaît pas la future potentielle acquisition. Cela génère une asymétrie d’information entre les gérants – qui peuvent avoir d’ores et déjà une idée de cible, de valorisation potentielle et de transaction – et les investisseurs qui doivent réaliser le fameux chèque en blanc. C’est généralement le même fonctionnement lorsque l’on observe les tickets de fonds de private equity. Dès lors, il s’agit de s’appuyer sur l’expertise des gérants et sur la proposition de valeur qui est effectuée. Dans le même temps, il faut s’assurer de la cohérence de l’investment prospectus et du profil des GPs.
Ensuite, les LPs qui investissent en tickets pour le round préliminaire avant l’IPO peuvent également être investisseurs ab initio dans un fonds de private equity qui crée ce SPAC. La limite étant que lors de l’acquisition de la cible par le SPAC, les GPs devront réaliser des tâches de management au sein de l’entité intégrée, temps qui n’est initialement pas prévu pour cela lorsque les management fees (frais de gestion du fonds) sont valorisés en amont (5). La réponse apportée dans ce débat entre investisseurs et gérants est que certaines voies d’exit lors d’une gestion de fonds de private equity est l’IPO, ce qui reviendrait à la situation identique avec un passage du privé vers le public equity. Une solution également proposée est la réalisation de co-investissements entre les GPs, gérant le fonds à l’initiative du SPAC et les LPs. Dès lors, les variations de rentabilité entre les deux solutions d’investissement seraient prises en compte pour les investisseurs.
Par ailleurs, les “grands investisseurs” ont une meilleure connaissance du secteur en question (effet d’expérience d’entrepreneurs au sein d’une même industrie), du marché des fusions-acquisitions et du marché boursier par rapport aux petits porteurs. Ils peuvent dès lors bénéficier de conditions favorables dans la revente de leurs parts a posteriori de l’acquisition, ce qui peut provoquer une distorsion. La nécessité d’avoir une réglementation – en pleine évolution – claire est d’une importance capitale. Ce besoin admet une réponse favorable en France par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), qui dispose d’un pouvoir conséquent puisque l’organisme distribue les dérogations d’introduction. En effet, il n’existe aucune réglementation spécifique à ces véhicules dans le droit français (contrairement à la hard law anglo saxonne). Puisqu’il s’agit de réaliser a minima trois exercices comptables pour réaliser une IPO, cette dérogation est obligatoire et permet au législateur de conserver un regard vis-à-vis de ces opérations.
Pour les gérants, il peut également être difficile d’évaluer les liquidités disponibles pour le SPAC initialement puisque deux leviers sont en général activés. D’un côté, les fonds qui seront levés, l’objectif étant déterminé à l’avance avec une valorisation préétablie, ce qui permettra de réaliser l’introduction en bourse avec un prix prédéterminé. D’un autre côté un PIPE (Private Investment in Public Equity), qui sont les fonds levés au sein de la fiducie (trust) auprès des institutionnels. Or, ces derniers fonds sont récoltés avec intérêt et à un prix nominal inhérent au trust, c’est-à-dire qu’un investisseur peut demander à être remboursé. A la fin de la levée de fonds, le SPAC peut avoir récolté les fonds issus de la levée, mais manquer de liquidités récoltées via le PIPE.
Enfin, une dernière problématique peut être liée à la gouvernance et la gestion quotidienne des activités de la société acquise. Dès lors, cela peut générer une distorsion dans les modes de gouvernance d’entreprises absorbées, par exemple quant au terme des choix effectués sur l’activité (certains choix relèvent d’investissement à long-terme, durée trop étendue pour les gérants et investisseurs).
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En sommes, les SPACs constituent des véhicules financiers disposant d’un fort engouement. Cela peut dès lors permettre à des acteurs experts de leurs domaines ou à des célébrités de lever rapidement de fonds et de déterminer des cibles à acquérir ou à fusionner. En reprenant les codes du private equity, les SPACs tentent de garantir des retours sur investissements conséquents en prenant des positions stratégiques sur des marchés fortement porteurs. C’est le cas notamment des nouvelles technologies avec l’exploitation de secteurs deep techs, de la cybersécurité ou de certaines technologies industrielles prometteuses comme l’hydrogène (on citera l’exemple d’Hyzon, camion propulsé à l’hydrogène – (6)). Dans le même temps, ils permettent de réaliser des mouvements de restructuration ou de consolidation sur le marché à travers des opérations de fusion-acquisitions rapides et issues d’une structure ad hoc. Cela constitue un moyen de financement rapide en liquidité. D’autant plus alors même que la masse monétaire s’est fortement accrue notamment sur les marchés de capitaux. De surcroît, un financement par capitaux propres permet de limiter le ratio d’endettement de certaines entreprises en fort développement et qui peuvent admettre de nouvelles structures de gouvernance. Enfin, cela permet d’être un excellent moyen de relier public et private equity notamment dans le cadre de stratégies d’investissement de fonds. Nonobstant l’agilité et les leviers de financements que les SPACs permettent, les dispositifs réglementaires, principalement avec la hard law anglo-saxonne (puisque l’AMF reste maître sur le marché français), devront être affinés en cela qu’ils changent radicalement la dimension de certaines sociétés non cotées.
Sources :
- Special Purpose Acquisition Company (SPAC) – Investopedia – Julie Young, 24-11-2020.
- SPAC Pioneers Reap the Rewards After Waiting Nearly 30 Years – The Wall Street Journal – Amrith Ramkumar, 09-03-2021.
- The SEC is looking into Wall Street’s SPAC craze and is seeking voluntary information from market participants, report says – Business Insider – Shalini Nagarajan, 25-03-2021.
- Communiqué de Presse : Mediawan devient le premier SPAC ayant abouti en France avec l’approbation par ses actionnaires de l’acquisition initiale de Groupe AB – Mediawan – 13-03-2017.
- LPs raise conflict of interest fears with GPs who raise SPACs – Buyouts – Chris Witkowsky, 07-10-2020.
- Hyzon, A Hydrogen Fuel Cell Truck Maker, In Spac Deal Valued At $2.6 Billion – Forbes – Greg Gardner, 09-02-2021.