La valeur du trafic maritime est sujette à des fortes fluctuations, alors que la croissance en volume reste relativement stable, malgré une forte dépendance à l’économie chinoise. Face au Covid, les entreprises du secteur ont choisi de ne pas relever le personnel de bord, afin de ne pas subir les contraintes de quarantaine. Grogne sociale et risques accrus en sont les conséquences, pour l’instant.
Depuis les années 1960, la “révolution du conteneur” a bouleversé l’économie maritime. En diminuant fortement les besoins de main-d’oeuvre (1), elle a permis au commerce maritime de connaître une forte croissance, et de s’inscrire dans la troisième mondialisation, entamée au début des années 1970.
Le trafic maritime : une composante stable de la troisième mondialisation
Le processus de mondialisation se traduit par une croissance de la part du commerce dans le PIB : elle passe de 36% à 50% au niveau mondial de 1987 à 2001 (2). Le mouvement se poursuit dans les années 2000 : le commerce atteint 60% du PIB mondial en 2008. Depuis la grande crise, ce taux stagne sans pour autant refluer.
Alors que la croissance en valeur du commerce total connaît de fortes fluctuations (3), la croissance du trafic maritime en volume reste relativement stable depuis son décollage il y a une trentaine d’années, s’établissant autour de 3% par an. Il représente 90% du commerce mondial en volumes transportés, et 80% en valeur.
L’évolution du cours de pétrole peut gonfler artificiellement la valeur du commerce mondial… ou la déflater. Ainsi, la forte croissance des années 2000 (8,8% par an) coïncident avec le quadruplement du cours de pétrole. Le ralentissement des années 2010 (2,3% par an) correspondent à un cours plus bas, autour de 60$ le baril.
Si on a pu spéculer, en 2010, sur la fin de la troisième mondialisation, il s’agit probablement d’une illusion statistique : la valeur peut sembler s’essouffler, mais le volume commercial continue de progresser à son rythme habituel. On retiendra cependant que dans la dernière décade, le trafic maritime a pu donner des signes de faiblesses, avec trois années de recul : 2015, 2016 et 2019. Pour les deux premières, le krach boursier chinois de 2015 a sans doute joué.
L’Asie représente en effet 42% des marchandises chargées (55% si on y inclut l’Océanie), et 61% (62 avec l’Océanie) des marchandises déchargées au niveau mondial, pour “seulement” 36% du PIB. Il y a donc une forte surexposition du secteur au “risque Asie”. On peut craindre les pannes de l’économie chinoise, mais aussi les tensions géopolitiques en mer de Chine et dans le détroit d’Ormuz, par où transitent 21% de la consommation mondiale de pétrole.
Quelle adaptation au Covid-19 ?
L’année 2020 voit une dépression de 5% de l’activité. Comme souvent dans les périodes de crise mondiale, l’évolution du commerce est encore plus marquée, avec un recul de l’ordre de 7 à 8%. Point positif pour le secteur maritime : le recul semble moins prononcé dans la zone asiatique. En juillet 2020, le recul annuel des importations y était limité à 4%, contre 13% en Europe. Peut-être la plus grande précocité de la crise en Asie y est-elle pour quelque chose.
Au-delà des problèmes de débouchés, la crise du Covid a d’abord été une crise de l’offre. Les restrictions aux libertés de circulation ont limité le stock de travailleurs (et de capitaux) disponibles pour la production. Dans le secteur maritime, les mesures de quarantaine mises en place par de nombreux pays ont rendu difficile la circulation et le renouvellement des personnels de bord. Plusieurs centaines de milliers demeurent bloqués à bord, ou en port, et ce bien au-delà des termes de leurs contrats.
Cette situation ubuesque expose les entreprises à de multiples risques : probabilité accrue d’accidents, risques de poursuites, pénurie durable de travailleurs… Les travailleurs de la mer incarnent la vulnérabilité des économies nationales à la pandémie, et paient le prix fort des mesures de restriction des échanges. Le secteur maritime, particulièrement peu intensif en travail (4), illustrait une tendance de fond : l’automatisation permettait le remplacement progressif des travailleurs nécessaires à la production.
La crise du Covid, d’abord une crise de l’offre de travail, vient rappeler le rôle primordial des humains dans le processus de production…mais pourrait aussi en accélérer le remplacement.
Notes :
(1) En France, les personnels portuaires sont passés de 22 000 en 1947 à 4 500 en 2005.
(2) A noter que le “commerce” n’est pas rigoureusement une part du PIB, puisqu’il ne se mesure pas en valeur ajoutée, mais en valeur d’achat ou de vente. Rien ne s’oppose à ce que le commerce représente plus de 100% de la valeur ajoutée : ainsi, le commerce hongkongais représente 350% du PIB de la cité.
(3) L’évolution du cours de pétrole peut gonfler artificiellement la part du commerce dans le PIB… ou la déflater. Ainsi, la forte croissance des années 2000 (8,8% par an) coïncident avec le quadruplement du cours de pétrole. Le ralentissement des années 2010 (2,3% par an) correspondent à un cours plus bas, autour de 60$ le baril.
(4) Pour la France en 2006, les salaires y représentaient seulement 37% de la valeur ajoutée, contre à peu près 68% au niveau de l’économie globale. Source : Ministère du Développement Durable.
Sources :
Base de données de l’UNCTAD sur le commerce mondial
Base de données de la Banque Mondiale sur la croissance mondiale
https://www.monde-diplomatique.fr/2020/11/RIMBERT/62409
https://www.lesechos.fr/2014/09/le-monde-mis-en-boite-ou-lhistoire-du-conteneur-308918