Auteurs : César Bernard, Jérôme Pivard
L’élection américaine du 3 novembre sera un tournant décisif pour les Etats-Unis et le monde entier sur de nombreux plans. L’économie est sans doute l’un des domaines où les enjeux de cette confrontation sont les plus déterminants, dans un contexte particulièrement difficile de crise sanitaire et de récession économique. Néolibéralisme assumé contre interventionnisme modéré, intérêt plus ou moins marqué pour les enjeux environnementaux et sociaux, conceptions adverses de la fiscalité : beaucoup semble opposer les deux rivaux. Mais certaines constantes émergent lorsque l’on examine certaines conséquences annoncées de leurs mesures économiques : endettement accru, faible inflation, protectionnisme renforcé…
Un contexte : une crise sanitaire particulièrement meurtrière dans le pays, et une crise économique inévitable
Comme en ont témoigné les différents débats télévisés ayant opposés les deux camps ces dernières semaines -ainsi que la forte médiatisation dans le monde entier du bref épisode de contamination du Président -, la question majeure dans laquelle s’inscrit le choix des électeurs américains est celle de la gestion de la pandémie de Covid-19. Bien sûr, le bilan désastreux de l’administration Trump dans ce domaine sur le plan humain, avec un bilan officiel de plus de 200 000 morts (et qui pourrait en réalité être plus proche des 300 000 selon une étude récente des Centres de prévention et de lutte contre les maladies citée par Le Figaro (1)) est sans doute le fait le plus emblématique en ce qui concerne les conséquences potentielles de l’épidémie sur les élections.
Néanmoins, les conséquences économiques terribles de cette crise sanitaire, même si elles sont loin d’être encore pleinement visibles, sont également au coeur des enjeux de cette présidentielle, dans la mesure où l’action politique dans les mois à venir aura une influence majeure sur la capacité de l’économie américaine (et par ricochets de l’économie mondiale dans sa totalité) à absorber le choc.
Pour tenter d’en réduire les effets, le Congrès et la Fed (“Federal reserve”, la Banque Centrale américaine) ont mis en place des mesures de relance fiscales et monétaires destinées à stimuler la reprise en mobilisant des milliers de milliards de dollars (2). Mais avec la propagation continue du virus dans le pays, la reprise se fait attendre et les espoirs d’une reprise “en forme de V” ont laissé place aux craintes d’une récession à double creux “en forme de W” (i.e. d’une rechute rapide après la reprise). Craintes auxquelles s’ajoutent celles d’une reprise particulièrement inégale, exacerbant les inégalités de richesse dans un pays déjà particulièrement inégalitaire (dite “en forme de K” pour symboliser les divergences des situations à l’intérieur du pays) et surtout profondément divisé.
Ainsi, la gestion puis la sortie de la crise sanitaire et économique sera sans doute l’enjeu principal de cette élection. En découlent un certain nombre de thèmes entretenant une relation de forte interdépendance avec l’épidémie actuelle : chômage, pauvreté, environnement, réformes du système de santé, allègement de la dette étudiante, taxes… Les approches différenciées de ces enjeux par les deux candidats s’ancrent dans deux conceptions antagonistes du rôle de l’Etat dans l’économie, sur lesquelles nous allons maintenant revenir.
Au-delà de la crise sanitaire à proprement parler, des priorités différentes
Du rôle de l’Etat dans l’économie
Sur le papier, Donald Trump et Joe Biden proposent dans leurs programmes respectifs deux visions opposées du rôle de l’Etat dans l’économie, conformément aux traditions de leurs partis respectifs. Côté républicain, celle-ci est marquée par la tradition libérale du laissez-faire restreignant fortement l’implication du gouvernement dans l’économie (dans la tradition reaganienne de la “Starve the beast” theory, (i)), et du côté démocrate par un interventionnisme – relatif car moins marqué que dans les social-démocraties européennes pour des raisons notamment culturelles et historiques. En résumé, comme le dit une étude de l’assurance Allianz et de l’assureur crédit Euler Hermes citée par La Croix (3) : “choisir entre eux le 3 novembre signifiera principalement choisir entre un gouvernement fédéral plus grand ou plus petit”.
L’étude citée plus haut permet de chiffrer assez précisément les propositions économiques des deux protagonistes. Première différence notable, qui est en fait le corollaire des divergences idéologiques exposées ci-dessus : si Biden prévoit d’augmenter les dépenses fédérales d’environ 640 milliards de dollars par an (soit environ 540 milliards d’euros) ,Trump aspire quant à lui à les réduire d’environ 300 milliards de dollars (250 milliards d’euros). Pour ce faire, ce dernier planifie des coupes budgétaires dans la santé, l’éducation et les programmes sociaux -en période de crise sanitaire et économique- mais il prévoit tout de même dans ce contexte un plan de relance de l’économie de près de 1275 milliards de dollars (un peu plus de 1000 milliards d’euros), dont le principal objectif est la construction de nouvelles infrastructures.
Au contraire, Biden souhaite redonner plus de place à la puissance publique, afin de mettre en place des solutions face à la précarité ou à l’urgence climatique notamment. Ainsi, il prévoit un plan en faveur d’”une révolution de l’énergie propre et la justice environnementale” mobilisant près de 200 milliards de dollars par an ; mais aussi 165 milliards de dollars dans la santé pour “construire l’Obamacare” et “mettre fin à la crise des opioïdes” qui affecte le pays depuis des années, ou encore une centaine de milliards de dollars destinés à l’éducation, et en particulier à la rénovation des écoles et à l’allégement de la dette étudiante.
Les priorités de Biden sont finalement assez proches de celle de Bernie Sanders, souvent décrit comme étant beaucoup plus à gauche que le candidat centriste, même si Biden a abouti à des mesures plus modérées (ou timides, selon le point de vue) que celles préconisées par le sénateur du Vermont. Cependant, il est à noter que les deux ont travaillé ensemble sur un manifeste commun pour le Parti Démocrate afin de rassembler le camp progressiste face au danger qu’ils perçoivent dans une réélection de Trump. Les recommandations découlant de ce travail sont notamment un engagement à atteindre zéro émission de gaz à effet de serre d’ici 2050, mais aussi un appel à financer un accès universel à l’école maternelle au niveau national, à étendre la Sécurité Sociale – bien moins développée que dans les grandes puissances européennes-, ou encore à augmenter le salaire minimum (4), proposition qui est désormais partie intégrante du programme de Biden.
Environnement : tout ou rien
Cette alliance de circonstance transparaît dans de nombreuses propositions économiques de Joe Biden, qui a comparé les enjeux de la présidentielle avec celle remportée par Franklin Delano Roosevelt (2). Ce dernier avait notamment mis en place son fameux New Deal dans les années 1930, aidant les Etats-Unis à s’extirper de la crise de 1929 au moyen de mesures économiques et sociales fortes et porté notamment par une ambitieuse politique de grands travaux.
L’approche de Biden sur le plan environnemental est en partie comparable. Son plan pour lutter contre le changement climatique semble être partiellement inspiré du Green New Deal réclamé par Alexandria Ocasio-Cortez et Bernie Sanders, même si des différences notables subsistent dans les modalités pour poursuivre des objectifs apparemment identiques.
D’une part, Biden considère le Green New Deal comme étant un “cadre crucial” pour travailler à relever le défi climatique, dans la mesure où il met en lumière la nécessité d’avoir beaucoup plus d’ambition à l’échelle du pays, et l’interdépendance absolue de l’économie américaine (et mondiale) avec l’environnement.
Mais, d’autre part, Biden a préféré concevoir un plan différent, mettant l’accent sur quelques objectifs phares (5) – et non sur un changement beaucoup plus structurel tel que le préconisent Ocasio-Cortez et Sanders. Parmi les objectifs du candidat Biden, certains n’en demeurent pas moins ambitieux, à l’image de la cible de neutralité carbone d’ici 2050, s’appuyant sur le développement de sources d’énergies plus propres. Il souhaite également investir dans des infrastructures résilientes face aux conséquences déjà inévitables du réchauffement climatique (bâtiments, transports, énergie…). Biden prévoit aussi de remettre en cause le pouvoir absolu des entreprises de combustible fossile et autres pollueurs qui “font passer leurs profits avec les gens, nuisent sciemment à l’environnement et empoisonnent l’air, les terres et l’eau” aux Etats-Unis, externalités négatives qui impactent davantage les plus précaires et les minorités ethniques (5).
Dans ce domaine, Donald Trump semble remarquablement discret. Bien qu’il affirme désormais reconnaître que le changement climatique est une réalité -et non plus un “canular” comme il le disait il y a encore quelques mois-, ce dernier semble toujours y accorder peu d’importance. Première preuve : son refus catégorique de rejoindre les accords de Paris qu’il avait quitté, car jugés contraires aux intérêts du pays. Lorsqu’une catastrophe naturelle survient aux Etats-Unis, comme ce fut le cas avec les incendies en Californie, Trump insiste sur la mauvaise gestion forestière, et fait totalement abstraction du réchauffement climatique et de ses causes structurelles, dont la surexploitation des ressources naturelles (6).
Ceci n’est guère surprenant, dans la mesure où Trump a largement remis en cause les régulations environnementales de ces prédécesseurs, afin de promouvoir une exploitation effrénée des ressources fossiles, la pratique controversée de la fracturation hydraulique (mieux connue sous le nom de fracking)… Il a notamment détruit le Clean Power Plan de l’administration Obama qui fixait des limites en termes d’émissions par les centrales productrices d’énergie. Au total, il est revenu sur près de 100 lois ou normes environnementales (6).
Au-delà de ce passif, qui témoigne d’une indifférence totale du locataire actuel de la Maison Blanche aux problématiques environnementales actuelles, Donald Trump ne semble guère disposé à évoluer sur cette question au cours d’un hypothétique second mandat. Il n’a en effet jamais mentionné spontanément ces enjeux au cours de sa campagne, et lorsqu’on l’invite à en parler, son plan semble se limiter à planter des arbres (6). Pas de neutralité carbone à l’horizon, contrairement à son grand rival chinois qui l’a promise pour la première fois, à l’horizon 2060.
Social : le choc des programmes
Selon Donald Trump, l’économie fait le social. Il ne cesse ainsi de vanter les mérites sociaux de son premier mandat en soulignant la performance exceptionnelle du marché du travail : un taux de chômage à 3,5% en 2019, record depuis 1950. “C’est indéniable que le taux de chômage est au plus bas. Ce taux de chômage va marquer des évolutions sur le marché du travail, sur l’emploi et donc l’emploi s’est également amélioré” remarque Christophe Blot de l’OCDE. Il faut tout de même noter que Donald Trump hérite d’une situation très positive sur le marché de l’emploi … de la part de son prédécesseur Barack Obama et de son vice-président Joe Biden qui n’hésite pas à rappeler les électeurs du sauvetage du géant automobile General Motors qu’il avait supervisé. Il faut reconnaître au duo démocrate d’avoir divisé par deux le taux de chômage, de 10% à 4,6%, entre 2009 et 2016. Trump se targue également d’avoir fait profiter cette baisse du chômage à la communauté afro-américaine. Encore une fois, le président omet que ce taux s’est écroulé de 17% à 8% entre 2010 et 2016, puis qu’en effet la tendance s’est poursuivie jusqu’en Janvier 2020 à 5,5% environ.
Cette amélioration considérable a joué positivement sur l’état de la précarité aux Etats-Unis. Le taux de pauvreté a lentement décru aux alentours de 15% de 2010 à 2014, avant de s’écrouler à 12,7% en 2016 et de continuer sa chute sous l’administration Trump jusqu’à 10,5%, son plus bas niveau depuis les années 1970 ! (7) Cette baisse doit aussi s’expliquer par les programmes sociaux de son prédécesseur notamment l’Obamacare que l’actuel président souhaitait justement démanteler totalement en vain. L’Affordable Care Act a toutefois été affaibli par de nombreux recours en justice menés par le Parti Républicain. 7 millions d’américains ont ainsi perdu leur assurance sous le mandat de Donald Trump.
Par ailleurs, la baisse de la pauvreté s’est également accompagnée d’une explosion des inégalités, qui ne date pas de la présidence Obama ni de celle de Trump. Depuis 1980, le coefficient de GINI aux Etats-Unis est passé de 0,37 à 0,47 (plus le coefficient est proche de 1, plus la société étudiée est inégalitaire). Ce coefficient est resté relativement stable depuis 2010 mais Donald Trump risque d’aggraver la situation avec sa réforme fiscale, que l’on pourrait qualifier de Triomphe de l’Injustice pour reprendre le dernier ouvrage de Gabriel Zucman et d’Emmanuel Saez. En effet, les deux économistes français montrent à partir des données de l’IRS (le “fisc” américain) qu’en 2018, et pour la première fois, “les 400 plus grandes fortunes ont payé proportionnellement moins d’impôt que les ménages américains les plus modestes”. (8)
En outre, le revers d’une telle politique qui considère qu’une économie en bonne santé suffit pour atténuer les problèmes sociaux, c’est d’être dépendant de la conjoncture. La pandémie du coronavirus et le ralentissement brutal de l’activité économique qu’elle a provoqué a effacé une décennie de réduction du chômage et de la pauvreté, tout en aggravant les inégalités.
Comme le laissait entendre son mantra, le candidat républicain ne s’attarde guère sur les considérations sociales. Joe Biden, au contraire, poussé par l’aile gauche du parti Démocrate, met en avant plus de justice sociale. En effet, les Démocrates défendent une hausse des allocations chômage afin de sécuriser la situation des plus précaires et de stimuler les dépenses des consommateurs (2). De plus, comme mentionné plus haut, ils misent sur une hausse du salaire minimum pour retisser le lien effrité avec les travailleurs peu qualifiés.
En ce qui concerne les étudiants, Joe Biden a promis de reprendre l’une des propositions phares de la gauche du parti : l’annulation de la dette étudiante. Celle-ci représente un fardeau de plus de 1500 milliards de dollars sur les épaules de 45 millions de jeunes Américains (9). Cette proposition est d’autant plus importante qu’elle contribue à remédier aux inégalités croissantes en termes d’accès à l’éducation, qui sont l’une des raisons pour lesquelles les Etats-Unis sont aujourd’hui aussi inégalitaires.
La sphère financière sur le qui-vive
Alors que les inégalités sociales se creusent, Wall Street a indéniablement profité de la présidence de Donald Trump. Il a en effet pris soin de déréglementer les marchés financiers en affaiblissant les mesures phares de Barack Obama en la matière. Le Dodd-Frank Act (ii) a été partiellement détricoté et les obligations légales des banques envers leurs clients réduites. Ainsi plus que 12 banques sont sous haute surveillance de la FED depuis 2017 contre 38. Par conséquent, les grands indices boursiers américains accusent des performances historiques, dopés par la politique monétaire ultra-expansionniste. Le coronavirus n’aura même pas réussi à inverser durablement l’emballement financier.
Cependant le comportement erratique de Donald Trump semble accroître la volatilité des marchés financiers. À l’approche du scrutin du 3 novembre, les investisseurs craignent le côté “mauvais perdant” du président sortant qui serait prêt à faire basculer le pays dans une crise politique sans précédent s’il ne parvenait pas à être réélu. Dès lors, une victoire de Joe Biden est vue de plus en plus favorablement, d’autant plus que les marchés se sont historiquement mieux portés sous des présidences démocrates que républicaines (vous avez bien lu !) (10).
Commerce : le protectionnisme a de l’avenir
Enfin, en termes de politique extérieure, les deux hommes convergent. Tout d’abord, Donald Trump a démontré au cours de son premier mandat son exaspération vis-à-vis d’accords commerciaux désavantageux pour les Etats-Unis, pointant du doigt le déficit commercial et la désindustrialisation. Il a ainsi re-négocié de nombreux accords bilatéraux et a imposé de nouveaux droits de douanes envers la Chine et l’Europe notamment. Sa politique commerciale fut surtout marquée par les menaces de retrait des Etats-Unis de l’Organisation Mondiale du Commerce en criant au dumping chinois (11). Ces accusations manifestent clairement son rejet du multilatéralisme au profit de l’America First.
Malgré ces effets d’annonce, le bilan commercial de Donald Trump est en demi-teinte. Le déficit commercial s’est en effet aggravé, atteignant son point bas en décembre 2018 à -57 milliards de dollars. Le confinement en Chine au début de l’année 2020 a entraîné une amélioration soudaine de la balance commerciale américaine avant de chuter de nouveau jusqu’à -67 milliards de dollars avec l’arrivée de la pandémie et l’importation de matériel médical depuis la Chine. (12)
Bis repetita, Donald Trump s’attribue à tort la totalité des relocalisations d’emplois industriels, phénomène qui avait déjà commencé sous le mandat d’Obama. Son prédécesseur avait en effet enregistré la création nette de 888.000 emplois manufacturiers. Il convient de noter que les cadeaux massifs de la réforme fiscale de 2017 ont encore amélioré les bénéfices des entreprises encourageant les décisions de relocalisation. Cependant, la croissance de l’emploi manufacturier a stagné ces quatre dernières années et la politique protectionniste trumpienne n’a pas empêché la fermeture de 1800 usines, note l’Economic Policy Institute (13). Un semi-échec qui peut inverser la tendance dans des états clés de la Rust Belt, où la classe ouvrière avait voté majoritairement pour l’outsider Trump en 2016.
Si Trump a fait du protectionnisme une pièce centrale de son programme économique, Biden ne se fait pas autant pour le chantre du libre-échange. Au cours d’une interview pour le magazine Foreign Affairs, le candidat démocrate a dit vouloir privilégier les investissements domestiques avant de signer n’importe quel nouveau traité de libre-échange. Sur la Chine, il est tout aussi offensif que son rival républicain notamment en ce qui concerne la propriété intellectuelle. Cependant, il souhaite changer de stratégie, soulignant que le combat commercial contre l’Empire du Milieu sera plus efficace avec l’appui de ses alliés historiques, présageant une normalisation des relations commerciales avec l’Union Européenne (14).
Des prévisions macroéconomiques encore incertaines
Niveaux de croissance et d’inflation similaires, différences sur l’emploi
Sur le plan de la croissance prévue, les deux candidats ne se distinguent qu’assez légèrement. En effet, à moyen terme, les trajectoires de croissance résultant de leur action économique seraient appelées à se rapprocher, avec une projection de 1,4% pour Biden et de 1,25% pour Trump dans la prochaine décennie. Toutefois, à court terme (soit jusqu’en 2024) d’après Moody’s, les différences seraient plus sensibles, dans la mesure où le plan de dépenses massives annoncé par le démocrate donnerait un coup de fouet plus rapide à l’économie que la stratégie du candidat républicain (4,4%/an contre 3,1%/an) (15).
Au niveau de l’inflation, l’étude de l’assureur anticipe une inflation assez faible dans les deux cas, restant sous les 2%. Une énigme pour les économistes mais une aubaine pour les deux candidats qui souhaitent relancer.
Une relance qui profiterait aux chômeurs lésés par la crise du coronavirus, mais différemment selon le résultat de l’élection d’après Moody’s. Le taux de chômage diminuerait plus fortement à court comme à long terme sous Biden. Avantage pour le candidat démocrate sur le taux d’emploi également mais seulement sur le long terme. Cet embellissement sur le marché du travail ne profite pas pour autant aux revenus des ménages qui continuent de stagner (+0,7%/an sur la décennie 2020-2030 pour Trump, contre +0,9%/an pour Biden sur la même période).
Un endettement accru dans les deux cas
L’étude d’Allianz estime une progression de la dette du pays dans les deux scenarii, dette qui avoisine actuellement les 100% du PIB (2). Bien sûr, celle-ci serait légèrement plus élevée si Biden accédait à la Maison Blanche (avec une projection à hauteur de 159% du PIB en 2030, contre 151% si Trump conserve son poste).
Ces projections finalement assez proches en dépit des conceptions diamétralement opposées de la dépense publique peuvent paraître surprenantes. Elles s’expliquent en réalité par le fait que Trump ne prévoit pas seulement une baisse des dépenses de l’Etat, mais aussi un recul des recettes (que l’on peut relier au “starve the beast” mentionné plus haut). Cette baisse serait fondée notamment sur une réduction des impôts à hauteur de 140 milliards de dollars par an.
Sur ce plan, Biden offre une approche opposée, puisqu’il prévoit d’augmenter la fiscalité sur les ménages les plus aisés et sur les entreprises, afin de financer une partie de ses dépenses, dans une perspective similaire à celle proposée par de nombreux économistes dont l’un des plus connus est sans doute Thomas Piketty (dans son ouvrage Capital et Idéologie), mais aussi par les démocrates Bernie Sanders et Elizabeth Warren.
Ainsi, les Etats-Unis s’endettent et continueront de s’endetter massivement quelque soit le vainqueur de l’élection du 3 Novembre. Or le “spending spree” se fait au prix d’une réduction drastique de la marge de manœuvre budgétaire. Une dette élevée devient également un problème lors de récessions car les Etats seraient moins enclins à relancer lors des prochaines crises (ou d’un allongement de la crise actuelle). Christina et David Romer (Berkeley), dans In Financial Crisis, Room to manoeuvre is worth a lot (16), ont démontré en étudiant 24 économies développées depuis 1967 que, des pays qui ont des taux d’intérêt directeurs élevés et une ratio dette/PIB faible relancent de manière plus importante et sorte plus rapidement de la récession.
Le dollar, encore la monnaie du futur ?
Dès lors, la réforme fiscale menée par l’actuel président début 2018 tombait au plus mauvais moment qui soit. Toutefois, cette contrainte existe-t-elle véritablement dans le cas des Etats-Unis ? Ils jouissent encore d’un “privilège exorbitant” (iii), titre de l’ouvrage de Barry Eichengreen qui évoquait ainsi la capacité de la première puissance économique mondiale de s’endetter sans limite tant que le dollar demeure la devise de référence du système monétaire mondial.
Mais jusqu’où Trump ou Biden pourront-ils “pousser le bouchon” ? Souvenez-vous qu’Obama en 2009 avait déjà pris le soin de rappeler que le billet vert était “la monnaie du futur”, une manière de faire taire (temporairement) les contestations de son hégémonie. Or aujourd’hui la situation des finances publiques s’est encore détériorée et les deux candidats à la Maison-Blanche auront probablement à préparer le SMI post-dollar, à commencer par assainir les finances publiques afin de retrouver en crédibilité.
Notes
(i) La théorie “starve the beast” (“affamer la bête” en français) désigne la stratégie conservatrice consistant à volontairement amaigrir l’Etat en effectuant des baisses d’impôts massives afin de réduire ses revenus, et de le forcer à réaliser ensuite des coupes budgétaires, que ce soit dans le financement de la sécurité sociale, de l’éducation…
(ii) Le Dodd–Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act a été voté en Juillet 2010 avec pour intention de “promouvoir la stabilité financière des États-Unis en améliorant l’accountability (la responsabilisation) et la transparence dans le système financier, pour mettre fin au too big to fail, pour protéger le contribuable américain en mettant fin aux sauvetages financiers (ending bailouts), pour protéger le consommateur des pratiques de services financiers abusifs, et pour d’autres objectifs”.
(iii) Le privilège exorbitant du dollar se manifeste de deux manières : l’existence d’un droit de seigneuriage (ou seigneuriage monétaire) selon Eichengreen (2011). D’une part, en émettant la monnaie internationale, les EUA ont des coûts de financement plus faible que tout le reste du monde. En effet, les non-résidents américains qui détiennent des dollars généralement placent ses dollars aux EUA, soit sur des comptes courants soit sur des produits financiers ordinaires. L’un des privilèges du dollar est que les clients sur le territoire deviennent des prêteurs. Les EUA ont le pouvoir d’émettre un monnaie qui a de la valeur pour tout le monde d’où le financement à bas coût. D’autre part, le $ est la monnaie utilisée par les entreprises et les banques américaines qui traitent toutes leurs affaires en $. Cela permet l’absence de risque de change. Les entreprises américaines n’ont pas besoin de se couvrir face à ce risque.
Sources :
- Le Figaro, 20/10/2020, “Covid-19 : 300.000 morts supplémentaires aux États-Unis pendant la pandémie”, accessible à : https://www.lefigaro.fr/flash-actu/covid-19-300-000-morts-supplementaires-aux-etats-unis-pendant-la-pandemie-20201020
- Caleb Silver, Investopedia, 15/10/2020, “The most important economic issues in the 2020 U.S. presidential election”, accessible à:https://www.investopedia.com/democratic-debate-policy-cheat-sheet-4691340
- Alain Guillemoles, La Croix, 23/10/2020, “Trump ou Biden deux projets économiques bien différents”, accessible à https://www.la-croix.com/Economie/Trump-Biden-deux-projets-economiques-bien-differents-2020-10-23-1201120925
- Scott Detrow, NPR, 8/07/2020, “Democratic Task Forces Deliver Biden A Blueprint For A Progressive Presidency”, accessible à https://www.npr.org/2020/07/08/889189235/democratic-task-forces-deliver-biden-a-blueprint-for-a-progressive-presidency?t=1603613589621
- Joe Biden, “Plan for Climate Change and Environmental Justice”, accessible à https://joebiden.com/climate-plan/#
- Louise Boyle, The Independent, “What are Trump’s plans to fight climate change ?”, accessible à https://www.independent.co.uk/environment/trump-climate-change-plans-believe-global-warming-fracking-green-new-deal-b1208399.html
- Federal Reserve of Saint Louis, “Estimated Percent of People of All Ages in Poverty for United States”, accessible à : https://fred.stlouisfed.org/series/PPAAUS00000A156NCEN
- Le Monde, “Comment évoluent les inégalités au Etats-unis : tracez la courbe de ces quatre graphiques pour comprendre l’injustice fiscale”, accesible à https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/02/13/comment-evoluent-les-inegalites-aux-etats-unis-tracez-la-courbe-de-ces-quatre-graphiques-pour-comprendre-l-injustice-fiscale_6029397_4355770.html
- Adam S.Minsky, Forbes, “Biden Affirms:’I Will Eliminate Your Student Debt’”,7/10/2020, accessible à https://www.forbes.com/sites/adamminsky/2020/10/07/biden-affirms-i-will-eliminate-your-student-debt/#3c874db558a7
- Nathaniel Lee, CNBC, 16 Octobre 2020, “As the presidential election approaches, experts warn ‘risks are definitely on the horizon for investors’”, accessible à : https://www.cnbc.com/2020/10/16/is-trump-or-biden-better-for-the-stock-market.html
- Reuters, The Guardian, 16 Septembre 2020, “Trump attacks WTO after it says US tariffs on China broke global trade rules”, accessible à : https://www.theguardian.com/world/2020/sep/16/trump-attacks-wto-after-it-says-us-tariffs-on-china-broke-global-trade-rules
- Federal Reserve of Saint Louis, “Trade Balance: Goods and Services, Balance of Payments Basis”, accessible à : https://fred.stlouisfed.org/series/BOPGSTB
- Economic Policy Institute, 10 Août 2020, “Trump’s trade policies have cost thousands of U.S. manufacturing jobs” accessible à : https://www.epi.org/press/trumps-trade-policies-have-cost-thousands-of-u-s-manufacturing-jobs-action-is-urgently-needed-to-rebuild-the-manufacturing-sector-after-the-coronavirus-pandemic/
- Joe Biden, Foreign Affairs, 23 Janvier 2020, “Why America Must Lead Again”, accessible à https://www.foreignaffairs.com/articles/united-states/2020-01-23/why-america-must-lead-again
- Moody’s Analytics, 23 Septembre 2020, “The Macroeconomic Consequences: Trump vs. Biden”, accesible à : https://www.moodysanalytics.com/-/media/article/2020/the-macroeconomic-consequences-trump-vs-biden.pdf
- C.D. Romer, D.H. Romer, In a Financial Crisis, Room to Maneuver Is Worth a Lot , NBER Working Paper No. 23931, Janvier 2018, accessible à : https://www.nber.org/digest/jan18/financial-crisis-room-maneuver-worth-lot